Chronique sur les humanistes de la Renaissance
Le prix de l'intégrité : le procès de Thomas More
Après avoir refusé de prêter serment à l'Acte de Suprématie et d’avoir reconnu la validité du mariage d'Henri VIII avec Anne Boleyn, Thomas More devint une figure de résistance silencieuse contre les réformes religieuses du roi d’Angleterre.
Il fut emprisonné pendant plus d'un an avant d'être jugé. Son arrestation marqua le début de la fin pour More, mais aussi la manifestation de son inébranlable fidélité à ses principes et à sa foi catholique, qui finirent par le conduire au martyre.
Thomas More face à la justice royale
Pendant son séjour à la Tour de Londres, Thomas More passa son temps à prier, méditer et écrire des lettres à sa famille et à ses amis. Il rédigea également des textes spirituels, dont son célèbre traité Dialogue du réconfort dans les tribulations, où il réfléchit sur la souffrance et la foi chrétienne.
Représentation de Thomas More emprisonné
Le procès de Thomas More, qui s’ouvrit le 1er juillet 1535, fut l'un des procès les plus célèbres de l'histoire anglaise.
Thomas More resta inflexible dans ses convictions, refusant avec obstination de prêter serment d'allégeance à l'Acte de suprématie.
Lors de son procès, qui fut largement perçu comme une parodie de justice, More se défendit avec dignité et érudition, mais la décision semblait déjà prise. Son talent oratoire et la force de ses arguments laissèrent plusieurs fois ses interlocuteurs bouche bée :
Ce procès, fit-il observer, repose sur un Acte du Parlement directement contraire à la loi de Dieu et à sa sainte Église, dont le gouvernement suprême […] ne relève d’aucune autorité temporelle. Personne ne saurait assumer un pouvoir qui relève de droit du siège de Rome. […] Aussi, parmi les chrétiens catholiques, il serait vain de contraindre quiconque à obéir à une autre injonction que celle-là.[1]
Thomas More ne pouvait accepter de compromettre sa foi pour des raisons politiques :
Aussi, my lord, je ne vois pas comment j’alignerais ma conscience sur le conseil d’un seul royaume contre l’autorité du conseil de toute la chrétienté.[2]
Représentation du procès de Thomas More
Il exprima ainsi sa pensée au sujet des nouvelles lois adoptées par le Parlement :
Lorsque je compris que le roi désirait savoir d’où provenait l’autorité du pape, je dois vous avouer que je me suis mis au travail pendant sept ans pour comprendre, et je n’ai trouvé aucun docteur, approuvé par l’Église, qui admette qu’un laïc quel qu’il soit puisse être à la tête de l’Église[3].
D'un ton assuré, il s'adressa directement à ses juges :
Bien que vous m’ayez condamné sur cette terre, nous pouvons nous retrouver dans la joie au Ciel. Que Dieu vous bénisse, et qu’il bénisse en particulier notre seigneur souverain roi et qu’il lui accorde de fidèles conseillers[4].
La tête haute jusqu'au bout : l'exécution de Thomas More
Thomas More fut reconnu coupable de trahison et condamné à mort. Les preuves contre lui étaient plus que ténues : sa condamnation était davantage motivée par des raisons politiques que par des faits réels.
Craignant que les dernières paroles de Thomas More ne galvanisent les foules ou ternissent son image, Henri VIII lui intima cet ordre la veille de son exécution : « Lors de votre exécution, ne prononcez pas trop de paroles.[5] »
Le 6 juillet 1535, Thomas More monta sur l'échafaud à Tower Hill. Selon les témoignages contemporains, il était calme et résigné, faisant preuve de courage et d'humour jusqu'à la fin.
Sur le point de monter sur l'échafaud, il manifestait un humour déconcertant : « Je vous prie, dit-il au chef des hommes d’armes, de m’escorter là-haut. Pour redescendre, je me tirerai d’affaire tout seul[6]. »
Ses dernières paroles célèbres furent : « Je meurs en bon serviteur du roi et de Dieu premièrement [7] » ( « I die the King's good servant, but God's first » ).
Représentation de l'exécution de Thomas More
Informé de la mort de Thomas More, Henri VIII aurait exprimé son ressentiment envers Anne Boleyn : « C’est toi, lui aurait-il dit, qui es responsable du décès de cet homme. » Il se serait retiré dans sa chambre pour y pleurer toutes les larmes de son corps.[8]
La voix de la conscience : Thomas More, un exemple de foi
Après sa mort, Thomas More fut considéré comme un martyr de la foi catholique. Son refus de compromettre ses convictions religieuses face à la pression royale fit de lui un exemple de fidélité à l'Église et à la conscience. Cependant, ce n'est qu'au début du XXe siècle que des démarches formelles furent entreprises pour sa canonisation.
Un premier pas vers la sainteté
Avant d'être canonisé, Thomas More fut béatifié par le pape Léon XIII le 29 décembre 1886, en même temps que d'autres martyrs anglais qui avaient souffert sous le règne d'Henri VIII et de ses successeurs.
La béatification est une étape importante dans le processus de canonisation : l’Église reconnait qu'une personne béatifiée a vécu une vie de vertu héroïque et peut être honorée publiquement avec un culte limité.
Une reconnaissance éternelle : Saint Thomas More
Le 19 mai 1935, Thomas More fut canonisé par le pape Pie XI, en même temps que John Fisher, un autre martyr de la Réforme anglaise. La canonisation de Thomas More reconnaît non seulement sa mort en tant que martyr, mais aussi sa vie exemplaire de foi, de service public, et de dévouement à la vérité.
Lors de la cérémonie de canonisation, le pape Pie XI déclara que Thomas More était un modèle pour tous ceux qui occupent des fonctions publiques, en raison de son intégrité et de son courage face à l'injustice.
En 2000, Jean-Paul II déclare Thomas More saint patron des dirigeants, des politiques, des enfants adoptés, des avocats, des fonctionnaires et des couples en difficulté.
Sur ce timbre-poste, à la droite du portrait de Thomas More se trouve le frontispice de la biographie écrite par l’auteur italien Domenico Regis intitulée Della vita di Tomaso Moro. Cette œuvre est une hagiographie, rédigée dans un style qui met en avant la piété, la vertu et les aspects édifiants de la vie de Thomas More.
L’ouvrage de Domenico Regis est important parce qu'il contribua à la canonisation de Thomas More, en insistant sur ses qualités morales, son dévouement à sa foi et son rôle en tant que martyr chrétien. La biographie de Regis a été largement utilisée dans les milieux catholiques pour promouvoir la cause de la sainteté de Thomas More.
L’héritage de Thomas More : l’utopie
L'Utopie est l'œuvre la plus célèbre de Thomas More, publiée en 1516. Ce texte a été écrit en latin sous le titre original À propos du meilleur état de la république et de la nouvelle île d'Utopie (De optimo rei publicae statu deque nova insula Utopia).
Ce livre a eu une influence considérable sur la pensée politique et sociale, et le terme « utopie » est, depuis lors, entré dans le langage courant pour désigner toute société idéale ou visionnaire.
Thomas More rédige l'Utopie
Un manifeste pour une société plus juste
Thomas More vivait à une époque de grands bouleversements sociaux, économiques et religieux en Europe. La Renaissance battait son plein, et les idées humanistes se diffusaient, encourageant la réflexion critique et la recherche d'une société meilleure.
Utopia s'inscrit dans ce contexte intellectuel et culturel, proposant une alternative aux injustices et aux inégalités observées par More dans l'Angleterre de son temps.
Sur le timbre-poste, à la droite du portrait de Thomas More se trouve le frontispice de l’utopie éditée en 1631 à Amsterdam chez l’imprimeur néerlandais Ioannem Ianssonium. Cette édition se distingue par sa qualité d'impression et par l'attention portée aux détails typographiques, reflétant le savoir-faire des imprimeurs néerlandais de l'époque.
Amsterdam, alors un centre florissant de l'édition en Europe, offrait un cadre propice à la diffusion des idées humanistes et à la préservation des textes littéraires et philosophiques.
L'édition de L’utopie de 1631 a contribué à pérenniser l'influence de Thomas More, permettant à ce texte de continuer à inspirer les lecteurs et penseurs de l'époque, tout en s'inscrivant dans la riche tradition éditoriale néerlandaise.
L’utopie : le récit captivant d'une société parfaite
L'île d'Utopie est organisée en 54 villes identiques, chacune divisée en quartiers de 6 000 familles. Les Utopiens vivent dans des maisons spacieuses et confortables, qu'ils occupent à tour de rôle. Ils travaillent six heures par jour et pratiquent l'agriculture, l'artisanat et les arts. La propriété privée est abolie et l'argent n'a aucune valeur.
Le système politique d'Utopie est une démocratie représentative. Les citoyens élisent des magistrats pour les diriger, et les décisions importantes sont prises par un conseil représentatif de chaque ville. La justice est impartiale et rapide, et la peine de mort n'est appliquée que dans les cas extrêmes.
L’utopie : un miroir pour l'Angleterre d’Henri VIII
Si l'utopie présente une vision idéalisée de la société, elle n'en est pas moins une critique subtile de l'Angleterre de l'époque de Thomas More. L'auteur dénonce notamment la corruption, l'inégalité sociale et la violence qui sévissaient alors dans son pays.
Voici quelques principes de la société utopienne imaginée par Thomas More :
La propriété commune
Tous les biens sont partagés à Utopie, éliminant ainsi la pauvreté et la richesse excessive : « Il n’est rien là qui constitue un domaine privé. Ces maisons en effet changent d’habitants, par tirage au sort, tous les dix ans.[9] »
La critique de la propriété privée et de l'accumulation des richesses vise les inégalités économiques flagrantes de l'époque. En proposant un modèle de société alternatif, Thomas More invite les lecteurs à réfléchir aux imperfections de leur propre monde et à imaginer un avenir meilleur.
L’absence de classes sociales
Tous les habitants d’Utopie s'habillent de manière identique, reflétant une société sans classes sociales distinctes. Cette uniformité vestimentaire symbolise l'égalité entre les individus qui régit leur communauté.
Voyez encore comment leurs vêtements demandent peu de façon. Un simple vêtement de cuir qui peut durer jusqu’à sept ans leur suffit pour aller au travail. Pour paraître en public, ils portent par-dessus une sorte de caban qui couvre les vêtements plus grossiers. […][10]
Il en résulte que chacun se contente d’un habit qui lui dure le plus souvent deux ans, alors qu’ailleurs on ne se juge pas satisfait avec quatre ou cinq vêtements de laine de diverses couleurs, autant de vêtements de soie et qu’il en faut au moins dix aux plus raffinés[11].
Au XVIe siècle, la tenue vestimentaire reflétait strictement la classe sociale d'une personne. Des lois somptuaires réglementaient les tissus, les couleurs et les styles que chaque classe pouvait porter, marquant ainsi visuellement les distinctions sociales.
Le désintérêt de l’argent et des objets de luxe
Thomas More remet en question la valeur accordée aux métaux précieux, en affirmant que leur importance est largement exagérée par rapport à leur utilité réelle :
Cet or et cet argent, ils les conservent chez eux sans leur attacher plus de valeur que n’en comporte leur nature propre. Et qui ne voit qu’elle est bien inférieure à celle du fer, sans lequel les mortels ne pourraient vivre, pas plus qu’ils ne sauraient se passer de l’eau ou du feu […][12].
L'or, l'argent et les objets de luxe étaient essentiels pour les nobles, car ils symbolisaient leur richesse, leur pouvoir et leur statut social, tout en servant à démontrer leur supériorité et à impressionner les autres. Ils renforçaient ainsi leur position dans la hiérarchie sociale.
Un équilibre entre le travail et les loisirs
L’organisation du temps imaginée par Thomas More garantit un équilibre entre le travail et la vie personnelle, permettant à chacun de développer ses talents et ses intérêts :
Le jour solaire y est divisé en vingt-quatre heures d’égale durée dont six sont consacrées au travail : trois avant le repas de midi, suivies de deux heures de repos, puis de trois autres heures de travail terminées par le repas du soir. […][13]
Chacun est libre d’occuper à sa guise les heures comprises entre le travail, le sommeil et les repas – non pour les gâcher dans les excès et la paresse, mais afin que tous, libérés de leur métier, puissent s’adonner à quelque bonne occupation de leur choix[14].
Thomas More permet ainsi à ses habitants fictifs un épanouissement personnel tout en assurant le bien-être collectif. Ce modèle utopique reflète une vision équilibrée de la vie, où le travail n'entrave pas la quête de connaissances et de développement personnel.
Représentation des habitants de Utopie
L’importance de la santé et du bien-être
Le système de santé est accessible à tous. Les Utopiens prennent soin de leur santé physique et mentale, assurant ainsi le bien-être de chaque citoyen dans une société équilibrée et harmonieuse :
Ils donnent la palme à la santé parmi les plaisirs du corps, puisque c’est uniquement en vue d’elle que nous devons désirer, disent-ils, les agréments du boire et du manger et des autres fonctions semblables. […][15]
Un sage aimera mieux prévenir la maladie que de demander des remèdes ; tenir les douleurs à l’écart plutôt que de recourir à des calmants ; s’abstenir enfin des plaisirs dont il aurait à réparer les dégâts[16].
L'euthanasie est acceptée à Utopie dans des cas de souffrance incurable, toujours avec le consentement des individus :
Mais lorsque à un mal sans espoir s’ajoutent des tortures perpétuelles, les prêtres et les magistrats viennent trouver le patient et lui exposent qu’il ne peut plus s’acquitter d’aucune des tâches de la vie, qu’il est à charge à lui-même et aux autres, qu’il survit à sa propre mort […][17].
Ceux que ce discours persuade se laissent mourir de faim, ou bien sont endormis et se trouvent délivrés sans même avoir senti qu’ils meurent. On ne supprime aucun malade sans son assentiment et on ne ralentit pas les soins à l’égard de celui qui le refuse[18].
Les individus sont libres de décider de leur destin, mais ils sont également accompagnés et soutenus dans leur choix. Cette vision préfigure de façon étonnante les débats contemporains sur l'aide médicale à mourir, soulignant ainsi l'intemporalité de certaines questions éthiques.
L'héritage de Thomas More
L’utopie de Thomas More reste une œuvre incontournable de la pensée politique et sociale. En décrivant une société idéale basée sur la raison, l'équité et le bien-être collectif, Thomas More invite ses lecteurs à réfléchir sur les institutions gouvernant les citoyens et à envisager des alternatives pour un monde meilleur.
Sa critique acerbe des défauts de son époque résonne encore aujourd'hui, faisant de l’utopie une œuvre toujours pertinente et inspirante, invitant chaque génération à réfléchir aux possibilités d'un monde meilleur. L'œuvre de Thomas More est donc à la fois un rêve et un réquisitoire, une invitation à construire un monde meilleur.
Un modèle pour notre temps
La série Philatélique du Vatican consacrée à Thomas More est bien plus qu'un simple hommage à un homme du passé. Cette chronique nous invite à nous interroger sur nos propres valeurs et à défendre nos convictions avec courage, comme l'a fait cet homme d’exception en refusant de compromettre sa foi.
Comme Thomas More l'aurait dit : « il vaut mieux souffrir une injustice que d'en commettre ». Ces quelques mots résonnent avec une force particulière à notre époque, où les défis sont nombreux et les choix difficiles.
R. Simard
Pour votre collection…
La série de timbres sur Thomas More émise par le Vatican pourrait être incluse dans plusieurs types de collections philatéliques, en fonction de l'intérêt principal du collectionneur. Voici quelques suggestions :
Collection historique ou politique : cette série pourrait s'intégrer dans une collection axée sur les figures historiques ou politiques, notamment celles liées à la Renaissance, à la Réforme ou à l'histoire de l'Europe. Thomas More est une figure emblématique de l'histoire anglaise et européenne, reconnu pour son rôle en tant que chancelier d'Angleterre et pour son opposition à la Réforme protestante.
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Collection religieuse ou spirituelle : étant émise par le Vatican, cette série peut s'intégrer dans une collection dédiée aux figures religieuses ou aux Saints. Thomas More, canonisé en 1935, est vénéré comme martyr par l'Église catholique, ce qui en fait un sujet pertinent pour une collection centrée sur les saints et les martyrs.
Collection sur les Droits de l'homme ou la justice : Thomas More est souvent considéré comme un symbole de l'intégrité morale et de la défense des principes de justice, même au prix de sa vie. Cette série pourrait donc faire partie d'une collection thématique sur les droits de l'homme, la justice, ou les figures ayant marqué l'histoire par leur éthique et leur courage.
Collection du Vatican : enfin, la série pourrait s'intégrer dans une collection consacrée aux émissions philatéliques du Vatican, qui met en lumière diverses figures religieuses, historiques et culturelles reconnues par l'Église catholique.
Chaque type de collection mettrait en valeur un aspect différent de la vie et de l'œuvre de Thomas More, ainsi que la signification de son inclusion dans une série émise par le Vatican.
Références
[1] COTTRET, Bernard, Thomas More…, p. 301.
[2] COTTRET, Bernard, Thomas More…, p. 302.
[3] COTTRET, Bernard, Thomas More…, p. 303.
[4] COTTRET, Bernard, Thomas More…, p. 303.
[5] ERLANGER, Philippe, Henri VIII. Un « dieu » anglais aux six épouses, 2016, Perrin, p. 193.
[6] ERLANGER, Philippe, Henri VIII…, p. 193.
[7] PHÉLIPEAU, Marie-Claire, Thomas More, 2016, Gallimard, p. 247.
[8] COTTRET, Bernard, Thomas More…, p. 306.
[9] MORE, Thomas, L’utopie ou le Traité de la meilleure forme de gouvernement, traduit du latin par Marie Delcourt, 1987, Flammarion, p. 144.
[10] MORE, Thomas, L’utopie…, p. 153.
[11] MORE, Thomas, L’utopie…, p. 153-154.
[12] MORE, Thomas, L’utopie…, p. 165.
[13] MORE, Thomas, L’utopie…, p. 148.
[14] MORE, Thomas, L’utopie…, p. 149.
[15] MORE, Thomas, L’utopie…, p. 183.
[16] MORE, Thomas, L’utopie…, p. 183.
[17] MORE, Thomas, L’utopie…, p. 191.
[18] MORE, Thomas, L’utopie…, p. 191.
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