Chronique sur les humanistes de la Renaissance
Les timbres-poste du Vatican ont rendu hommage à de nombreuses personnalités. Découvrez l'une des émissions les plus marquantes : celle consacrée à Sir Thomas More. Cette chronique vous propose de redécouvrir la vie et l'œuvre de cet humaniste anglais à travers de magnifiques illustrations philatéliques.
Le 7 mai 1985, le Vatican a émis une série de trois timbres-poste en l'honneur de Sir Thomas More, figure emblématique de la Renaissance et martyr de l'Église catholique. Cette émission commémorative coïncidait avec le 450e anniversaire de sa mort, pour avoir refusé de reconnaître l'autorité religieuse du roi Henri VIII sur l'Église d'Angleterre.
Conçus avec un grand souci du détail, les timbres-poste de la série représentent différents aspects de la vie et de l'héritage de cet homme hors du commun.
L’émission philatélique souligne l'importance de Thomas More en tant que symbole de liberté, de conscience et d'intégrité. Elle rappelle également son œuvre littéraire, notamment son livre Utopia, ainsi que son rôle de défenseur des valeurs chrétiennes face aux pressions politiques.
Thomas More : l'humaniste et l'homme d'État
Thomas More est né le 7 février 1478 à Londres, dans une famille de la petite noblesse. Son père, John More, était avocat et juge, ce qui permit à Thomas de bénéficier d'une éducation soignée dès son plus jeune âge.
Il fréquenta l'école St Anthony's à Londres, avant de devenir page chez l'archevêque de Canterbury, John Morton. Ce dernier, impressionné par les capacités de More, l’encouragea à poursuivre des études à l'Université d'Oxford, où le jeune Thomas s'immergea dans les humanités, le droit, la théologie et la philosophie.
Ces premières années, marquées par une éducation rigoureuse et une introduction aux cercles influents, posèrent les bases de la brillante carrière intellectuelle et politique de Thomas More.
De l'étudiant au Lord chancelier : la carrière de Thomas More
Sous l'aile protectrice du cardinal Wolsey, Thomas More gravit les échelons de la cour royale. Il fut rapidement remarqué par le roi : de simple administrateur des biens du cardinal, il devient maître des requêtes puis conseiller privé du roi.
Les années de formation :
- 1491-1494 : Thomas More est étudiant à l’université d’Oxford ;
- 1494-1496 : Thomas More étudie le droit à l’institut New Inn[1];
- 1496 -1501 : Thomas More étudie de droit à l’institut Lincoln’s Inn.
Les jeunes années au service du royaume
- 1501-1503 : Tomas More est lecteur (reader) à Lincoln’s Inn (Le lecteur se distinguait pour son art de l’éloquence. Cette compétence était nécessaire pour briller en société.) ;
- 1504 : il est élu à la Chambre des communes ;
- 1510 : il est nommé sous-shérif de Londres ;
- 1515 : le 8 mai, Thomas More est envoyé par le roi d'Angleterre pour remplir une mission diplomatique en Flandre. Au cours de ce séjour, il rédigea à Bruges l’utopie, dont il sera question plus loin.
La carrière de Thomas More à sa maturité
- 1520 : More assiste Henri VIII dans une entrevue diplomatique à Calais avec le roi de France ;
- 1523 : le 18 avril, Thomas More est élu président de la Chambre des communes (speaker). Il exerce cette charge pendant quelques mois ;
- 1524 : More est nommé Hight Steward de l’université d’Oxford (le Hight Steward est l’adjoint du chancelier d’une université.) ;
- 1529 : le 5 août, Thomas More se rend à Cambrai pour signer la Paix des Dames au nom du roi d’Angleterre [2] ;
- 1529 : Le 25 octobre, Thomas More est nommé Lord chancelier d’Angleterre, succédant au cardinal Wolsey dans cette fonction[3].
Un père dévoué : la vie privée de Thomas More
Malgré sa notoriété publique, Thomas More menait une vie privée marquée par un profond attachement à sa famille et une grande dévotion religieuse. Il a été marié deux fois, d'abord avec Jane Colt, avec qui il eut quatre enfants, puis, après la mort de Jane, avec Alice Middleton.
Thomas More veillait attentivement à l'éducation de ses enfants, en particulier de ses filles, ce qui était inhabituel pour l'époque. Il avait une affinité particulière avec sa fille Meg. Ce père de famille menait une vie simple et imprégnée de valeurs chrétiennes.
Malgré ses hautes fonctions, il préférait la simplicité de la vie domestique à la gloire publique.
Chelsea : un havre de paix sur les rives de la Tamise
La demeure de Chelsea, située sur les rives de la Tamise à Londres, était un manoir élégant et spacieux, entouré de vastes jardins. Acquise par Thomas en 1520, cette résidence était un lieu de refuge et de contemplation pour l'humaniste anglais.
Ce manoir reflétait le statut social élevé de Thomas More et sa passion pour les arts et les lettres. La maison était décorée avec goût, abritant une vaste bibliothèque et des pièces où il pouvait accueillir des érudits, des penseurs et des amis influents.
Les jardins, soigneusement entretenus, offraient un cadre paisible pour la réflexion et les discussions intellectuelles. Chelsea, avec sa proximité de la Tamise, permettait également à Thomas More de se déplacer facilement vers Londres, tout en restant à l'écart de l'agitation de la ville.
Représentation de Thomas More dans les jardins de Chelsea
Des liens tissés par la pensée : les amitiés de Thomas More
Thomas More entretenait des amitiés profondes et significatives avec plusieurs intellectuels de son époque, reflétant son esprit humaniste.
L'une de ses amitiés les plus célèbres était avec Érasme de Rotterdam, un érudit néerlandais, avec qui il partageait des idées sur la réforme de l'Église et la promotion des études classiques. Leur correspondance témoigne d'un respect mutuel et d'une admiration pour les talents et les convictions de chacun.
Lors de son séjour en Flandre, Thomas écrit à Érasme : « J’approuve ta décision de ne pas vouloir t’empêtrer dans les riens absorbant les princes ; et tu te montres véritable ami quand tu souhaites que je m’en dépêtre, car tu ne saurais croire à quel point je m’y trouve engagé malgré moi. »[4]
More était également proche de John Colet, un théologien réformateur, et de William Warham, archevêque de Canterbury, avec lesquels il partageait des discussions sur la foi et la politique.
Les liens que Thomas More entretenait avec ces personnes témoignent de son caractère chaleureux, de sa loyauté et de sa capacité à inspirer et à être inspiré par ses pairs.
Le regard d'Holbein : un portrait intime de Thomas More
En 1526, Hans Holbein le Jeune, célèbre peintre allemand, rendit visite à Thomas More à Londres. Il avait été encouragé par Érasme de Rotterdam à se rendre en Angleterre. Thomas More accueillit chaleureusement l'artiste dans sa demeure privée. Il devint rapidement son protecteur et mécène.
Pendant son séjour chez la famille More, Holbein réalisa plusieurs œuvres, dont le célèbre portrait de Thomas More. Holbein a su reproduire avec une grande précision le caractère intellectuel et déterminé de l'homme d'État. On retrouve sur ce portrait les traits caractéristiques de Thomas More, avec son bonnet typique et sa robe ornée, ainsi que son collier d’Esse.
Portrait de Sir Thomas More
Réalisé en février 1526 par Hans Holbein le Jeune
Huile sur panneau de chêne, 74,9 cm x 60,3 cm
Conservé au The Frick Collection, musée d’Art à New York
Cette image a été modifiée avec autorisation provient du domaine public et provient de The Frick Collection Art
L’illustration de Thomas More sur les timbres-poste de la série est une reproduction du portrait peint par Hans Holbein le Jeune. Thomas est représenté dans ses vêtements d'époque, qui reflètent sa position sociale élevée. Il porte le collier d’Esse, qui symbolise son rôle d'autorité en tant que chancelier de Lancaster.
Le texte « San Tommaso Moro (1535-1985) » indique qu'il s'agit d'une commémoration de Thomas More en tant que saint. L'année 1985 est particulièrement notable, car elle marque le 450e anniversaire de la mort de Thomas More, qui a été exécuté en 1535.
À la droite du portrait de Thomas More, se trouve une carte stylisée de la Grande-Bretagne, soulignant son lien avec ce pays et mettant en évidence son héritage intellectuel et historique au sein cette nation, où il a joué un rôle crucial dans les évolutions politiques et religieuses de son époque.
La chute de Thomas More : un sacrifice pour la conscience
La question de la succession au trône était une source de grande préoccupation pour le roi Henri VIII, qui, cependant, ne parvenait pas à avoir de fils. Son épouse, Catherine d'Aragon, lui avait donné une fille, mais leurs autres enfants étaient tous morts en bas âge. Lors d’une visite de courtoisie à Chelsea, le roi s'était confié à Thomas More à ce sujet.
En 1525, Henri VIII tomba sous le charme d'une jeune femme de retour de la cour de France, Anne Boleyn. Fasciné, le roi tenta de la séduire et de l'attirer dans ses bras, mais Anne Boleyn refusa fermement toutes ses avances.
Henri VIII courtise Anne Boleyn
À partir de 1527, le roi d'Angleterre entreprit officiellement des démarches avec Rome afin d’obtenir l'annulation de son mariage avec Catherine d'Aragon. Le pape Clément VIII refusa de donner suite à cette demande, ce qui déclencha une série d'événements qui mèneront à la rupture définitive entre l'Église d'Angleterre et l'Église catholique.
Un homme d'État au service de la vérité
En 1529, sous l'influence de Thomas Cromwell, secrétaire du roi, Henri VIII conçut l'ambitieux projet de se proclamer chef de l'Église anglaise. Ce faisant, il visait à renforcer son autorité et à s'affranchir de l'autorité papale et, par ricochet, obtenir l'annulation de son mariage avec la reine Catherine.
Toutefois, pour mettre en œuvre cette révolution religieuse, les décisions d'Henri VIII devaient être approuvées par le Parlement sous forme de lois. Or, la Chambre des Lords, où siégeaient de nombreux prélats, ne se prêtait pas aisément à une telle réforme. Il fallait donc manœuvrer avec habileté pour obtenir l'approbation de ces lois qui allaient transformer en profondeur l'Église d'Angleterre.
Les membres du clergé, quant à eux, étaient profondément divisés concernant les décisions du roi. Certains soutenaient ses réformes par loyauté ou par intérêt, tandis que d'autres s'y opposaient fermement, craignant les conséquences religieuses et politiques de la rupture avec Rome.
Au cœur de la crise anglaise : Thomas More entre le roi et Dieu
Durant les premières années de la décennie 1530, les événements s’enchaînèrent :
En 1531 :
- À la fin de l’année, la reine Catherine d’Aragon fut bannie de la cour et reléguée au château de More, dans le Herdfordshire. Dans les résidences royales, Anne Boleyn s’installa dans les appartements qu’avait occupés la reine déchue.
En 1532 :
- Le 10 mai, par l'intermédiaire de son aumônier personnel, Édward Foxe, Henri VIII exige que l'Église abandonne son autonomie législative et que les membres du clergé deviennent pleinement ses sujets. Le roi impose ainsi une soumission permanente de l'autorité ecclésiastique à la couronne anglaise.
- Le 15 mai, le clergé anglais capitule devant les décisions d'Henri VIII.
- Le 16 mai, Tomas More démissionne de son poste de Lord chancelier d’Angleterre. Il invoque des motifs de santé et d’autres raisons personnelles pour expliquer son geste.
En 1533 :
- Le 24 ou le 25 janvier, Anne Boleyn et le roi se marient secrètement à Greenwich. À cette époque, Thomas More aurait déclaré à un ami : « Ces réjouissances auxquelles Anne Boleyn prend une part si active, amèneront un autre jeu. On jouera aux boules avec nos têtes, et la tête d’Anne sera l’une des premières qui tombera.[5] »
- Le 23 mai, le mariage d’Henri et de Catherine d’Aragon est officiellement déclaré nul et non avenu par l’archevêque de Cantorbéry, Thomas Cranmer.
- Le 28 mai, le mariage du roi d’Angleterre et d’Anne Boleyn est rendu officiel et déclaré valide par l’archevêque de Cantorbéry.
- Le 1er juin, Anne Boleyn est couronnée reine d'Angleterre.
En 1534 :
- Le 23 mars, Henri VIII est excommunié par le pape Clément VII. (L'excommunication consiste à exclure une personne de la communauté chrétienne, généralement en raison de croyances ou de comportements jugés contraires aux enseignements de l'Église.)
- Le 26 mars, le Parlement vote l’Acte de succession (Succession Act), faisant de la fille d’Henri et d’Anne Boleyn, la seule héritière légitime au trône d’Angleterre.
- Le 13 avril : Thomas More est convoqué à Lambeth Palace, résidence de l'archevêque de Cantorbéry, pour prêter serment à l'Acte de suprématie. Il comparait devant une commission composée de figures importantes et est soumis à un interrogatoire.
Thomas More refusa toujours de prêter serment à l’Acte de suprématie, arguant qu’il ne pouvait accepter le serment « en bonne conscience ».
- Le 17 avril : emmené en barge sur la Tamise, Thomas More est emprisonné à la Tour de Londres.
- Le 3 novembre, le Parlement vote l’Acte de suprématie (Act of Supremacy), définissant le roi d'Angleterre comme étant le chef suprême de l’Église en Angleterre. À cette loi, suit l’Acte de trahison (Treason Act), punissant de mort toute personne qui s’opposerait à l’Acte de suprématie[6];
Le serment à l'Acte de suprématie était exigé de tous les officiers du royaume, les anciens comme les actuels membres du gouvernement, pour garantir leur loyauté envers le roi dans ses nouvelles fonctions religieuses.
En tant qu'ancien chancelier et figure publique influente, Thomas More était particulièrement visé pour prêter ce serment. Refuser de prêter serment était considéré comme un acte de trahison, car cela remettait en cause la légitimité de la nouvelle position du roi.
Le prix de l'intégrité : le procès de Thomas More
Après avoir refusé de prêter serment à l'Acte de Suprématie et d’avoir reconnu la validité du mariage d'Henri VIII avec Anne Boleyn, Thomas More devint une figure de résistance silencieuse contre les réformes religieuses du roi d’Angleterre.
Il fut emprisonné pendant plus d'un an avant d'être jugé. Son arrestation marqua le début de la fin pour More, mais aussi la manifestation de son inébranlable fidélité à ses principes et à sa foi catholique, qui finirent par le conduire au martyre.
Représentation de Thomas More reconduit à la Tour de Londres
Références
[1] Complémentaires des cursus universitaires d'Oxford et de Cambridge, les Inns of Court constituaient un haut lieu de formation juridique, préparant les jeunes hommes à exercer des fonctions judiciaires au sein des cours royales ou des administrations locales.
[2] La Paix des Dames, signée en 1529 par Louise de Savoie et Marguerite d'Autriche, mit un terme à un conflit de longue durée entre la France et l'Empire.
[3] Le lord chancelier occupait alors de nombreuses fonctions : il était le gardien du Grand Sceau, le principal chapelain du roi, ainsi que son conseiller pour les affaires spirituelles et temporelles.
[4] Allard, Pierre, La constance de Thomas More, 2013, Presses de l’université Laval, p. 19.
[5] STAPLETON, Thomas, Histoire de Thomas More, A. Marin (éd.), Paris, L. Maison, 1849, p. 17. Cité dans COTTRET, Bernard, Thomas More. La face cachée des Tudor, 2012, Tallandier, p. 259.
[6] Cette loi sera abrogée en 1863.
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