* Spécial philatélique sur Dracula (1/4)
Chronique sur l'histoire de la Roumanie
Vlad III, connu sous le nom de Vlad l'Empaleur (Vlad Țepeș en roumain), est l'une des figures les plus emblématiques de l'histoire roumaine. Né en 1431 à Sighișoara en Transylvanie, il est célèbre pour quatre raisons principales :
- son rôle dans la résistance contre l'extension de l'Empire ottoman ;
- ses méthodes de gouvernance brutales ;
- sa contribution à la construction de l'identité nationale roumaine ;
- avoir inspiré le personnage légendaire Dracula.
Cette chronique nous invite à explorer méandres de cette personnalité énigmatique, où se mêlent faits historiques et légendes. L'histoire de Vlad l'Empaleur, un personnage à la fois fascinant et terrifiant, est plus complexe que l'évocation de simples faits historiques. Les interprétations varient selon les époques, les cultures et les perspectives individuelles.
Une émission philatélique du 25 février 1976 par la république socialiste de Roumanie commémore les 500 ans de la mort de Vlad l’Empaleur (VLAD ȚEPEȘ 500 ANI), prince de Valachie au XVe siècle.
Vlad l'Empaleur est présenté aux côtés d'Anton Davidoglu, un historien spécialiste de Vlad l'Empaleur, et de Costache Negri, un acteur majeur de la politique roumaine. Un autre timbre-poste de la série montre le Musée des Archives nationales roumaines, qui conserve des documents importants sur l'histoire de la Valachie.
La série philatélique révèle une portée symbolique liée à l'idéologie du régime politique alors en place lors de son émission. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la Roumanie était dirigée par un régime communiste marxiste-léniniste. En 1974, l’élection de Nicolae Ceaușescu à la présidence marquait l'affirmation d’un pouvoir personnel qui allait se renforcer au fil des années.
Ceaușescu imposa un régime centré autour de sa personne, marquant une rupture avec les décennies précédentes. Son pouvoir se caractérisait par un contrôle strict des médias et une répression accrue de l'opposition.
Le culte des grandes figures historiques a été fortement utilisé pour renforcer l'identité roumaine sous le régime communiste. Cette idéologie s'inscrivait dans un processus de légitimation du pouvoir de Ceaușescu par la référence à des symboles historiques forts.
Dans ce contexte, Vlad l'Empaleur était présenté comme un symbole de résistance face à une occupation étrangère (les Turcs ottomans), une idée qui s'alignait avec la rhétorique nationale de Ceaușescu en regard de l'influence soviétique.
Ceaușescu demeura au pouvoir jusqu'à son renversement lors de la Révolution roumaine de 1989. Il fut exécuté le 25 décembre 1989, mettant fin à plus de quarante ans de régime communiste en Roumanie.
Le timbre-poste consacré à Vlad l'Empaleur témoigne de la fascination qu'exerce cette figure historique, aussi complexe que controversée.
L'illustration présente un portrait saisissant du prince valaque, portant une coiffe ornée de perles et un ornement métallique en forme d'étoile. Il est représenté avec des cheveux longs et noirs, une moustache marquée, un visage allongé et des yeux intenses. Cette illustration rappelle les portraits historiques de ce personnage.
Gravure de Vlad l'Empaleur réalisé par un artiste inconnu
Cette image provient du domaine public.
Le timbre-poste présente une valeur faciale de 55 bani. Le ban (bani au pluriel) est la subdivision de la monnaie roumaine, le leu : 1 leu vaut 100 bani. Le leu (lei au pluriel) est la monnaie officielle de la Roumanie depuis 1867. En 2005, le pays a procédé à une réforme monétaire, en remplaçant « l'ancien leu » par « le nouveau leu », à un ratio de 1 nouveau leu pour 10 000 anciens lei.
Entre Orient et Occident : le territoire roumain au XVe siècle
Les territoires qui composent la Roumanie actuelle ont connu diverses appartenances politiques au cours des siècles. Au Moyen-âge, ces régions étaient fragmentées et sous l'influence de puissances étrangères.
Au XIIIe siècle, les terres qui composent la Roumanie étaient divisées principalement en trois principautés : la Valachie (au sud), la Moldavie (au nord-est) et la Transylvanie (au centre).
La Valachie
Fondée au XIVe siècle par Basarab Ier, la Valachie est devenue un État vassal du Royaume de Hongrie avant de s’affirmer de plus en plus sous la domination de la dynastie byzantine des Cantacuzènes au XIVe siècle.
En 1330, Jean II Cantacuzène prit le pouvoir et devint prince de la principauté, après avoir renversé Nikolaï Ier Basarab et sa dynastie. Sous son règne, la Valachie fut principalement sous l'influence de l'Empire byzantin.
La Moldavie
Fondée au début du XVe siècle par Dragoș et consolidée par Étienne le Grand, la Moldavie fut d'abord vassale du Royaume de Pologne avant de passer sous l'emprise des Turcs ottomans. Étienne Le Grand a su défendre son pays contre les invasions étrangères et préserver une indépendance relative à la principauté.
Sous son règne, la Moldavie a également renforcé son organisation interne, favorisant le développement économique et culturel tout en maintenant un équilibre diplomatique délicat entre ses puissants voisins.
La Transylvanie
Cette région était un fief de la Couronne hongroise. À partir du XIIIe siècle, les princes de Transylvanie ont dû naviguer entre les puissantes influences hongroises et ottomanes, tout en gérant une population composée d'une diversité ethnique : Hongrois, Saxons, Roumains, etc.
L’ombre turque : la fragmentation des royaumes balkaniques
Au XIVe siècle, un petit État turc dirigé par la famille Osman avait entamé une expansion rapide dans les Balkans. Profitant de la fragmentation des royaumes chrétiens dans cette région et de l'affaiblissement général de l’empire byzantin, les Ottomans ont commencé à s'implanter en Asie Mineure (Turquie actuelle) et à franchir les détroits pour pénétrer dans les Balkans.
L'Empire byzantin
Bien qu’étant encore une entité chrétienne majeure, l'Empire byzantin était profondément affaibli par des siècles de conflits internes, de divisions et d'invasions. Au XIVe siècle, il se trouvait réduit à une portion de son ancien territoire, avec Constantinople comme dernière grande ville.
Le déclin de Byzance rendait l'Empire vulnérable face aux Ottomans, qui prenaient progressivement le contrôle de ses territoires.
Après leur victoire à la bataille de Kosovo Polje en 1389 contre le royaume serbe, les Ottomans renforcèrent leur emprise sur l’empire byzantin. Des villes stratégiques telles que Thessalonique et Sofia tombèrent sous le contrôle des Turcs et l'Empire ottoman parvient à s'étendre jusqu'à des régions plus au nord, facilitant l'intégration des Balkans dans leur système politique et économique.
Le Royaume de Serbie
Après la mort du roi Stefan Dušan en 1355, le Royaume de Serbie s’était divisé en plusieurs principautés rivales, affaiblissant ainsi son unité face à la menace turque. La défaite des Serbes à la bataille de Kosovo Polje en 1389 marqua un tournant dans leur résistance contre les Ottomans.
Le Royaume de Bulgarie
Au XIVe siècle, le royaume bulgare s’était fragmenté en plusieurs principautés. Au moment de l'expansion ottomane, plusieurs principautés bulgares, telles que les royaumes de Vidin et de Tarnovo, étaient déjà affaiblies, ce qui permit aux Turcs de s'emparer progressivement de ces territoires.
Le Royaume de Hongrie
Bien que la Hongrie ait été encore un royaume puissant à la fin du XIVe siècle, elle demeurait en proie à des conflits internes pour le pouvoir. Concentré sur ses préoccupations internes, le royaume hongrois se trouvait moins apte à contrer l'avancée des Turcs dans les Balkans.
Les Principautés de l'Albanie
Plusieurs principautés albanaises avaient résisté à l'expansion turque, mais elles demeuraient fragmentées par des conflits internes. Ces conflits empêchaient une résistance unifiée face aux ambitions des Turcs.
Les pays roumains
À la fin du XIVe siècle, les pays roumains étaient déjà confrontés à la menace croissante des ambitions turques. Ces régions cherchaient à préserver leur indépendance : leurs diplomaties se caractérisaient par des alliances instables et des résistances ponctuelles, toujours dans un contexte de vulnérabilité.
La fragmentation et les luttes internes de tous ces États ont facilité la progression des Turcs ottomans dans les Balkans, profitant de l'absence d'une opposition unifiée pour imposer leur domination dans la région.
Le tribut ottoman : entre vassalité et indépendance
En 1396, la bataille de Nicopolis, qui se déroula sur le territoire de l'actuelle Bulgarie, fut un affrontement décisif entre les forces ottomanes et une armée composée de croisés chrétiens d’Europe. L’objectif de cette coalition chrétienne, dirigée par Sigismond de Luxembourg, avait été de stopper l'expansion des Turcs en Europe.
Malheureusement pour les chrétiens, la bataille se termina par une défaite écrasante, permettant à Bayezid Ier de consolider sa domination sur les Balkans. Cette victoire ottomane bouleversa l'équilibre des forces en Europe et marqua un tournant dans l’histoire de la région.
La défaite des chrétiens à Nicopolis scella le sort des deux principautés roumaines : prises en étau entre les ambitions ottomanes et les aspirations hongroises, la Valachie et la Moldavie se retrouvaient dans une situation précaire.
Les deux principautés durent se résoudre à une solution pragmatique : le paiement d'un tribut annuel au sultan. Le voïévode Mircea Ier de Valachie reconnut la suzeraineté ottomane en 1417, suivi un peu plus tard de Petru Aron de Moldavie en 1456.
En échange de cette somme d'argent, les Ottomans garantissaient une stabilité dans ces régions et permettaient aux princes de maintenir une certaine indépendance dans la gestion interne de leur principauté. Le tribut annuel constituait cependant un fardeau politique et économique considérable : les deux principautés se trouvaient contraintes d'adapter leurs politiques intérieure et extérieure aux intérêts de l’Empire Ottoman.
Ce tribut devint ainsi un symbole de la dépendance des principautés roumaines, vis à vis la politique ottomane. Ce système perdurera jusqu'à la fin du XIXe siècle. Il faudra attendre la Guerre d'indépendance de 1877 pour que la Valachie et la Moldavie, unifiées, puissent enfin se libérer du joug ottoman et affirmer pleinement leur indépendance.
L'Ordre du dragon : un rempart contre l'avancée turque
En présence de la menace grandissante de l’avancée turque au début du XVe siècle, Sigismond de Luxembourg, roi de Hongrie, prit une initiative décisive en fondant en 1408 l'Ordre du Dragon. Cet ordre militaire et religieux avait pour objectif de rassembler les forces chrétiennes et de constituer un rempart face à l’avancée des Turcs ottomans.
Les membres de l'Ordre, principalement des nobles issus de Hongrie, de Transylvanie et des Balkans, étaient liés par un serment de loyauté envers leur souverain et s'engageaient à défendre la foi chrétienne. L'emblème de l'ordre, un dragon, symbolisait à la fois le mal à combattre et la puissance que les membres de l'ordre se devaient de manifester.
Les membres de l'Ordre du Dragon ne se limitaient pas à défendre leurs propres terres : ils formaient un véritable réseau de résistance, s'entraidant et se soutenant mutuellement face aux incursions turques.
Bien que l'Ordre du Dragon n'ait pas réussi à repousser définitivement les Ottomans, il a indéniablement contribué à ralentir leur avancée, notamment en Valachie et en Hongrie.
Un prince, deux maîtres : Vlad II Drăculești
C'est dans ce contexte que Vlad II, prince de Valachie de la maison de Basarab et père de Vlad l'Empaleur, rejoignit l'Ordre du Dragon. Son adhésion à cette prestigieuse société lui valut le surnom Dracul, signifiant « dragon » en langue roumaine.
Vlad II Dracul intronisé dans l'Ordre du dragon par Sigismond de Luxembourg
Vlad II Dracul devint de ce fait le premier membre d’une lignée de nobles roumains à porter le nom Drăculești (fils du dragon), marquant ainsi le début d'une dynastie dont l'héritage marqua à jamais l'histoire de la Roumanie.
Cette nouvelle dynastie ne régna pas sans partage : pendant plus d'un siècle, les Drăculești et les Dănești allaient se livrer une lutte acharnée pour le pouvoir, secouant le cœur même de la Valachie : le pays connut dix-huit renversements de pouvoir au cours du XVe siècle !
Le voïvode valaque Dan II (Dănești) régna cinq fois sur la Valachie, de 1420 à 1431. Il était perçu par les Turcs comme un obstacle à leurs ambitions : il cherchait à réduire l'influence de l'Empire ottoman sur la Valachie.
En juin 1431, le sultan Mourad II intervint directement dans la principauté afin de réaffirmer son contrôle sur la région. Il vainquit Dan II. Cette défaite eut pour effet d’accélérer le processus de vassalisation de la Valachie par l'Empire ottoman, un phénomène qui allait durer plusieurs siècles.
Alexandre Ier Aldea, demi-frère de Vlad Dracul, fut installé sur le trône de Valachie par le sultan. Vlad Dracul, qui convoitait lui aussi le trône – et son heure viendra plus tard – se vit assigner, par son suzerain Sigismond de Luxembourg, la tâche de protéger la frontière de la Transylvanie.
Naissance de Vlad III : un prince transylvanien
Vlad Dracul s'établit avec sa famille à Sighișoara, une ville située au centre-sud de la Transylvanie, à la croisée de plusieurs routes commerciales importantes. La maison où il résida était située dans la ville fortifiée et se trouve aujourd'hui sur l’actuelle rue Strada Lăpușneanu. Transformée en musée, cette maison est un lieu touristique très populaire en Transylvanie.
Maison natale de Vlad l'Empaleur à Sighișoara
Photo issue du domaine public réalisée par César Suceveanu
Vlad II Dracul eut deux fils avec une première épouse dont le nom est inconnu : Mircea, né vers 1425, et Vlad III, né en 1431. Vlad Dracul épousa plus tard, en secondes noces, une princesse moldave connue sous le nom de Cneajna. Elle fut la mère de Radu Le Bel (né en 1438 ou 1439) et d’une fille nommée Alexandra. Les écrits historiques mentionnent également la présence d’enfants illégitimes, dont Vlad IV (Vlad le Moine), né d'une noble Valaque nommée Călțuna[1].
Sighișoara
Le 24 juillet 2009, la Roumanie a émit un feuillet philatélique célébrant le centre historique de Sighișoara, un site classé au Patrimoine mondial de l'UNESCO. Le feuillet est composé de trois timbres-poste, affichant les valeurs faciales de 1 leu, 1,6 leu et 6 lei.
Ce feuillet philatélique a été dessiné par Radu Oltean, un artiste roumain connu pour ses illustrations et ses œuvres graphiques dans le domaine de la philatélie. Il a réalisé plusieurs séries de timbres-poste roumains, qui mettent en avant des thèmes culturels, historiques et littéraires.
L'église de Sighișoara (Biserica din Deal) est un monument important de la ville. Construite au XIVe siècle, cette église est célèbre pour son intérieur sobre et ses magnifiques fresques. Elle est l'un des exemples les plus typiques du style gothique de Roumanie.
La Tour de l’horloge (Turnul cu Ceas) constitue un symbole important de la ville de Sighișoara. Construite au XIVe siècle, elle servait de tour de guet et de porte d'entrée principale de la ville. La tour s’élève sur 64 mètres de hauteur et est dotée d'une galerie couronnée par un toit recouvert de tuiles vernissées.
Le centre historique de Sighișoara est une fortification urbaine remarquablement bien préservée. Il se compose d'une ville haute, située sur une colline, et d'une ville basse, entourée de murailles. On peut y voir des bâtiments médiévaux avec des toits en pente, des tours et des remparts, typiques de l'architecture de cette ville historique.
Une enfance modelée dans les conflits
L'enfance de Vlad III, passée en partie à Sighișoara, a indéniablement marqué sa personnalité. Le jeune prince a grandi dans un environnement multiculturel et a été confronté aux réalités d'une Europe en proie à de multiples conflits.
Dans un contexte où la survie dépendait souvent de la force, de l'habileté et de la résilience, chaque jeune prince devait être façonné pour faire face aux épreuves du trône. Vlad III n’échappa pas à cette règle.
Son éducation, en tant qu’héritier du trône de Valachie, comprenait une série d’épreuves physiques et psychologiques conçues pour forger un homme capable de gouverner dans un monde brutal, dans lequel la trahison était omniprésente.
Pour régner, il faut se maîtriser : la formation de Vlad III
L'entraînement physique était au cœur de la formation du jeune prince : équitation, natation, tir à l'arc et lancer du javelot. Ces sports façonnaient à la fois son endurance, son habileté et sa concentration. Le garçon devait exceller dans ces disciplines et démontrer une volonté de fer.
Il devait aussi apprendre à braver les conditions climatiques difficiles : la chaleur, le froid, le vent, la pluie et la neige. Il était régulièrement exposé à des activités éprouvantes comme la chevauchée sans selle à grande vitesse.
Au-delà de la force physique, c'est la force mentale qui était cultivée, une force nécessaire pour affronter les pressions inhérentes au pouvoir. Très tôt, le jeune Vlad dut faire preuve d’une grande endurance dans tous ces domaines : savoir maîtriser la douleur, affronter la solitude et résister à la tentation de céder à la peur.
Le jeune prince vivait dans un monde où la loyauté était volatile et dans lequel la survie dépendait souvent de la capacité à anticiper les trahisons. Vlad apprit à cultiver une discipline de fer, à cacher ses émotions et à manier l’art de la manipulation.
La formation intellectuelle était basée principalement sur l’apprentissage des langues, indispensable pour entretenir des relations diplomatiques avec les pays voisins. Les données historiques manquent sur ce sujet concernant Vlad III. Il n’est pas certain qu'il ait su écrire : selon certains chercheurs, aucun écrit de sa main, pas même une signature, n’a été retrouvé[2].
La Transylvanie au XVe siècle : un microcosme de l’Europe médiévale
Les nobles d’origine roumaine étaient peu nombreux sur le territoire Transylvain. De plus, ils étaient dispersés, ce qui limitait leur poids politique. Au fil du temps, leurs privilèges ont été progressivement restreints et leurs terres de plus en plus concentrées entre les mains des nobles hongrois.
Une partie de cette noblesse roumaine finit par quitter la Transylvanie pour aller s'établir en Moldavie ou en Valachie. Une autre fraction s'est progressivement intégrée à la noblesse hongroise par le biais de mariages.
L'économie florissante de la Transylvanie
Au XVe siècle, la Transylvanie se distinguait comme une région prospère et dynamique, contrastant fortement avec la Valachie. Grâce à sa position géographique, cette région constituait un carrefour commercial majeur entre l'Europe centrale et les Balkans. Cette situation favorisa le développement de villes marchandes florissantes telles que Brașov, Sibiu et Sighișoara.
Représentation d'une ville saxonne de Transylvanie
Les centres urbains transylvains étaient dotés d'architectures impressionnantes, de marchés animés et d'une population cosmopolite comprenant des Hongrois, des Saxons et des Roumains. L’agriculture y était également bien développée, soutenue un système de commerce efficace.
La situation de la Transylvanie contrastait avec celle de la Valachie. Presque toujours en proie à des luttes internes pour le pouvoir et à des menaces d’invasions de l’extérieur, la Valachie, dont l’économie était constamment perturbée par les conflits, peinait à établir une base économique solide.
Cette disparité économique et sociale entre les deux régions contribuait à renforcer le prestige de la Transylvanie, tout en exacerbant les tensions entre les princes valaques et leurs voisins transylvaniens. Les ambitions des Turcs ottomans, qui cherchaient à contrôler la Valachie, ne faisaient qu'aggraver ces divisions, transformant la région en un champ de bataille permanent et dans lequel les intérêts locaux se mêlaient aux enjeux de la grande politique.
La Transylvanie : une population cosmopolite
La Transylvanie constituait un véritable carrefour culturel et ethnique, où vivaient différentes communautés qui ont profondément marqué la région. Ces groupes, bien qu'ayant des origines diverses, ont contribué à la formation de l'identité des Transylvains au fil des siècles.
Les Hongrois
Les Hongrois (Magyars) commencèrent à s'installer en Transylvanie au XIe siècle, à l'époque de la formation du Royaume de Hongrie. Ils établirent leur domination sur le plan politique et culturel et la région devint une partie intégrante du Royaume hongrois.
Les nobles hongrois établirent leur domination politique et culturelle en Transylvanie
Bien qu'ils aient été un groupe minoritaire en termes de population totale, les Hongrois ont réussi à maintenir une influence significative en Transylvanie, grâce à leur statut privilégié.
Les Sicules
Les Sicules (Székelys) étaient des mercenaires d’origine hongroise, présents en Transylvanie depuis le Xe siècle. Ils constituaient un groupe distinct au sein de la population hongroise, avec leur propre identité culturelle et linguistique. Ils maintenaient cependant des liens étroits avec les Hongrois.
Les Sicules étaient des mercenaires chargés de défendre les frontières de la Transylvanie
Les Sicules étaient responsables de la protection des frontières du royaume hongrois contre les invasions. En raison de leur service militaire, les Sicules bénéficiaient de privilèges et de possessions terriennes et étaient exemptés de plusieurs taxes.
Les Saxons
Au XIIe siècle, le roi hongrois Géza II avait encouragé l'immigration de colons allemands en Transylvanie. Ces nouveaux venus provenaient principalement de la Saxe, un vaste un duché situé dans le Nord-Est de l’Allemagne actuelle.
La Saxe connaissait à cette époque une prospérité économique particulière, grâce à un réseau bien développé de routes commerciales traversant le territoire. Des villes importantes, telles que Leipzig, ont émergé comme centres majeurs du commerce. Cette prospérité économique conduisit au développement d’une classe marchande compétente et d'un artisanat de qualité.
Les marchands saxon de Transylvanie formaient une classe aisée
Les Saxons ont apporté en Transylvanie leurs connaissances commerciales et artisanales. Ils ont fondé des villes fortifiées et ont beaucoup contribué au développement économique de la région.
Les Saxons de Transylvanie ont bénéficié de privilèges spécifiques, tels que l'administration de leurs propres affaires et l’établissement d’institutions autonomes. Leur culture, leur langue et leurs traditions ont influencé la région pendant plusieurs siècles.
Les Roumains
Les Roumains étaient majoritaires en milieu rural. Ils constituaient la population des paysans libres, dont la fonction était de cultiver la terre et d’élever du bétail pour les nobles. Leur vie était organisée autour des villages ruraux, dans lesquels on retrouvait une forte cohésion sociale et une économie fondée sur l'autosuffisance.
Cette autosuffisance était toutefois relative, car les paysans libres étaient soumis à des obligations et à des taxes envers le prince et la communauté. Ils devaient aussi s’acquitter du service militaire en temps de guerre, en se procurant eux-mêmes des armes pour le combat. Bien souvent, ils ne disposaient que de leurs outils agricoles pour se défendre[3].
Les paysans libres roumains de Transylvains devinrent de plus en plus pauvres
Au fil du temps, l'augmentation des taxes et des impôts, exigée par les grands propriétaires terriens – le prince, les nobles, les monastères et, plus tard, les Turcs – entraîna progressivement la ruine de ces paysans libres, qui finirent par être réduits à la servitude.
Les Tziganes
Les Tsiganes ont commencé à s'établir en Transylvanie au XIVe siècle. Leur présence s'intensifia au cours des siècles suivants et ils ont longtemps été considérés comme des étrangers par les autres communautés ethniques. Les Tziganes vivaient dans des conditions difficiles, marquées par l’esclavage et leur marginalisation. Ils étaient la propriété des élites et demeuraient soumis à leur arbitraire.
Les Tziganes constituaient un groupe ethnique marginalisé dans toutes les régions où ils se trouvaient
Une partie des Tziganes était attachée aux propriétés de leurs maîtres et y accomplissaient des tâches diverses : travaux manuels, entretien des bâtiments ou services domestiques. D’autres étaient semi-nomades et exerçaient des métiers itinérants (ferronnerie, chaudronnerie, divination), tout en demeurant soumis à l'autorité de leur propriétaire à qui ils devaient des redevances régulières.
Les Tziganes constituaient sans conteste le groupe social le plus pauvre de la Transylvanie, suivis par les paysans libres roumains.
Entre deux feux : Vlad Dracul et la politique valaque
En 1436, Vlad Dracul fut nommé voïévode de Valachie par Sigismond de Luxembourg, roi de Hongrie, devenu empereur du Saint-Empire romain germanique en 1433.
Le règne de Vlad Dracul fut marqué par des luttes de pouvoir internes et des menaces extérieures, principalement orchestrées par les ambitions des Turcs ottomans. Vlad Dracul dut se démener entre ces pressions, tout en veillant à renforcer son autorité sur la Valachie.
Au XVe siècle, les voïévodes de Valachie menaient une « politique de bascule » entre la Hongrie et l'Empire ottoman, les deux puissances rivales qui contrôlaient les successions au trône de Valachie. Cet « équilibre » reposait sur le fait d’une double allégeance : les voïévodes valaques prêtaient serment de vassalité au roi de Hongrie tout en acceptant d'être tributaires de l'Empire ottoman.
« En cas d’incursion turque en Transylvanie, le voïévode était obligé d’y joindre ses forces ; mais il prévenait préalablement les Hongrois par l’intermédiaire des espions transylvains et en espérant que le roi aurait les moyens d’intervenir, lui permettant alors de changer de camp[4]. »
Cette politique de bascule reflétait la fragilité et l’instabilité de la politique valaque et compromettait l’autonomie de la principauté.
Le sultan Mourad II et la Transylvanie : une escalade de tensions
En 1438, l'empereur Albert de Habsbourg, gendre et successeur de Sigismond de Luxembourg, ne semblait pas accorder une grande importance à la menace turque dans les Balkans. Ses priorités étaient tournées vers d’autres enjeux : les troupes polonaises entraient en Bohême, un royaume que lui-même convoitait.
C'est dans ce contexte qu'il annonça, le 14 février 1438, avoir confié la défense de la Transylvanie à Vlad Dracul, voïévode de Valachie.
Mourad II estima que l'occasion était enfin venue pour frapper un coup décisif en Hongrie. Sachant que l’armée hongroise était engagée en Bohême, il projeta d’envahir Buda, la capitale du royaume.
Cependant, la fonte des neiges et les pluies abondantes cette année-là provoquèrent des inondations dans les plaines du sud de la Hongrie ; la manœuvre de l’armée et des chevaux dans ces conditions aurait rendu toute avancée vers Buda impraticable.
Le sultan reporta alors ses ambitions sur la Transylvanie, possession hongroise, marquant une nouvelle étape dans les conflits qui agitaient les pays roumains. Cette offensive avait pour objectif d’affaiblir le royaume de Hongrie et de préparer le terrain pour ses visions expansionnistes futures.
Le sultan Mourard II se rend en Transylvanie
Vlad Dracul reçut du sultan la mission de diriger ses troupes vers la Transylvanie : « La mort dans l'âme (timore mortis), comme il l'avoua lui-même, le voïévode valaque servit de guide à l'armée ottomane dans une région qu'il connaissait parfaitement et dont il avait théoriquement la garde[5]. »
Pour Vlad Dracul, cette situation était complexe ; il devait manœuvrer entre les exigences ottomanes, dont le but était de maintenir les principautés roumaines dans une position de dépendance, et les visées hongroises, dont la politique était de limiter l'expansion des Turcs et de maintenir l'influence magyare sur les principautés roumaines.
La campagne dura près de deux mois et fut de loin la plus dévastatrice de toutes les incursions ottomanes en Transylvanie. Les troupes turques pillèrent, saccagèrent et incendièrent les villes et villages de la région, laissant derrière elles un paysage de désolation.
Les Turcs ottomans pillèrent, saccagèrent et incendièrent des villes et villages transylvains
La soumission de Vlad Dracul : un gage de paix fragile
En 1442, Vlad Dracul se vit contraint de renforcer l’accord déjà existant avec les Ottomans en acceptant de payer un tribut régulier et en envoyant ses deux fils, Vlad III et Radu, comme otages en terre turque. Cette situation représentait un gage de soumission et une véritable prise de risque pour Vlad Dracul, car les Ottomans allaient détenir une part de son pouvoir et de son héritage.
Les deux garçons furent envoyés à la cour ottomane, où ils furent retenus à Eğrigöz, une forteresse située au nord d’Emet. Plus tard, ils eurent la permission de résider dans le palais impérial et de fréquenter la famille du sultan. Ils firent la connaissance de Mehmet, fils du sultan et successeur au trône impérial.
Un jeune cœur rempli de haine : la captivité de Vlad III
La captivité de Vlad III chez les Turcs éveilla chez lui un profond ressentiment envers les Ottomans. Formé aux arts de la guerre et aux lettres durant son séjour, il développa une personnalité complexe, nourrie de haine et de méfiance envers les autres.
Il apprit la langue turque, qu’il maîtrisa parfaitement à l’oral. Il acquit également une discipline rigoureuse et une grande intelligence politique. Cette période fut marquante dans le développement de la personnalité de Vlad.
Les années passées otage chez les Turcs ont forgé chez Vlad III une rancune qui allait le hanter toute sa vie
Sa libération suivit la mort de son père et de son frère aîné, assassinés en 1447 par des nobles Valaques. Ces derniers avaient vu, en Vlad Dracul, un traître pour s'être allié aux Ottomans.
Le sultan décida de soutenir Vlad III pour reprendre le trône de Valachie, dans l'espoir d'avoir un dirigeant favorable à la cause turque dans la région.
Toutefois, le décès tragique de son père et de son frère aîné avait renforcé la soif de vengeance du jeune Vlad III. À 17 ans, il sortit de sa captivité plus que jamais déterminé à venger l'honneur de sa famille et à libérer son pays du joug ottoman.
Un règne éphémère : la chute de Vlad III
Ce règne fut de courte durée : l'opposition des nobles, qui le considéraient comme un usurpateur, fut un obstacle majeur. L'instabilité politique générale du pays et le manque de soutien du peuple affaiblirent considérablement la position du nouveau dirigeant. En tant que jeune voïévode, Vlad III ne parvint pas à consolider son pouvoir. Il fut déposé le 7 décembre 1448, après un règne de deux mois.
Vlad III fut renversé par les nobles valaques après deux mois de règne
La Valachie : entre vassalité et indépendance
Le règne de Vlad II Dracul sur la Valachie fut marqué par une gestion fragile entre les pressions extérieures des Ottomans et la nécessité de préserver l’indépendance de son territoire. Bien que vassal de l'Empire ottoman, Vlad Dracul dut manœuvrer entre les rivalités des grandes puissances afin de pouvoir maintenir un équilibre délicat en Valachie. L’ambition expansionniste des Turcs maintenait ainsi la principauté dans une position vulnérable.
Le court règne de son fils fut éphémère, car le jeune voïévode ne réussit pas à stabiliser son pouvoir face à une noblesse hostile. Ainsi, bien que Vlad III ait incarné l’espoir d’une résistance vigoureuse contre les Ottomans, son premier règne ne fut qu’une brève lueur dans l’histoire tumultueuse de la Valachie.
* * *
La fascinante dualité de Vlad III, entre sa lutte acharnée contre l'Empire ottoman et sa participation à des stratégies diplomatiques complexes, se poursuivit dans la manière dont il a marqué l'histoire de la Roumanie. Après une première période de vassalité, sa résistance farouche face à la domination turque témoignera de son engagement total pour défendre l'indépendance de la Valachie. Au-delà des actes de cruauté et de guerre qui caractériseront ses deux autres règnes, Vlad III deviendra un symbole culturel dont l'influence se manifestera bien après sa mort.
R. Simard
Références
[1] FLORESCU, Radu R., « A genealogy of the family of Vlad Țepeș », Dracula : Essays on the Life and Times of Vlad Țepeș, 1991, Columbia University Press, p. 249-252.
[2] BARBIER, Michèle, La véritable histoire de Dracula fils du dragon, 2013, Éditions Ex Aequo, p. 22-23.
[3] TOMESCU, Despina, Roumanie : Histoire d’une identité, 2019, L’Harmattan, p. 29.
[4] SANDU, Traian, Histoire de la Roumanie, 2008, Perrin, p. 76.
[5] CAZACU, Matei, Dracula, 2004, Éditions Tallandier, p. 64.
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