Le nationalisme norvégien sur les timbres-poste : L'Histoire des rois de Norvège (2/2)

Publié le 21 octobre 2024 à 20:42

Chronique sur l'histoire de la Norvège

L'Histoire des rois de Norvège de Snorri Sturluson est un pilier de l'identité nationale norvégienne. Les récits de cette compilation résonnèrent particulièrement durant la période de l'occupation allemande, où elle devient un symbole de la résistance des Norvégiens. Les timbres-poste illustrant ces moments clés participent à la pérennisation de cette mémoire collective, affirmant le désir inébranlable des Norvégiens de se rappeler de leur glorieux passé.

L'Histoire des rois de Norvège, écrite par Snorri Sturluson au XIIIe siècle, est une œuvre majeure de la littérature médiévale scandinave. Ce recueil de 16 récits est un pilier fondamental de l'identité nationale norvégienne.

 

Cinq timbres-poste de la série illustrent des moments importants de ces récits : ils ont contribué à pérenniser leur souvenir pendant l'occupation nazie, où ils ont symbolisé la résistance et l'aspiration à la liberté.


L'identité norvégienne dans l'Histoire des Ynglingar

Dans l’Histoire des Ynglingar, Snorri Sturluson raconte comment Ingiald, un roi suédois, avait organisé un grand banquet pour les funérailles de son père. Mais, sous couvert de festivités, Ingiald avait ourdi un complot : sur son ordre, le bâtiment dans lequel se déroulait le banquet fut incendié, tuant six autres rois qui étaient présents :

 

Le roi Ingiald fit préparer un grand banquet à Upsal [centre du pouvoir en Suède] afin de célébrer les funérailles de son père, le roi Onund.

 

Il fit également aménager une halle qui ne fut ni moins vaste ni moins splendide que celle d’Upsal, et à laquelle il donna le nom de « halle des sept rois » ; sept trônes y avaient été disposés. Le roi Ingiald envoya des messagers à travers toute la Suède pour inviter les rois, les ducs et les autres grands[1].

 

Sur le soir, quand les convives furent pris de boisson, le roi Ingiald dit aux fils de Svipdag, Folkvid et Hulvid, de s’armer, eux et leurs hommes, comme cela avait été prévu au cours de la soirée.

 

Ils sortirent, se dirigèrent vers la nouvelle halle et y mirent le feu : aussitôt celle-ci fut la proie des flammes ; les six rois périrent au milieu de l’incendie, de même que tous leurs hommes, et ceux d’entre eux qui essayèrent de sortir furent tués sur-le-champ[2].

« Ils sortirent, se dirigèrent vers la nouvelle halle et y mirent le feu »

Après cet acte de violence, Ingiald s'empara des territoires de ses rivaux :

 

Ensuite le roi Ingiald soumit à son autorité tous les territoires qui avaient appartenu à ces rois et y leva l’impôt[3].

 

La halle des Sept Rois, symbole de pouvoir et d'autorité, était un lieu de rassemblement important, et son incendie représentait la destruction et la remise en question de l'ordre établi.

 

La scène de ce récit figurant sur le timbre-poste a été réalisée par le dessinateur norvégien Érik Werenskjold (1855-1938). Elle s’intitule : Les fils et disciples de Svipdag se rendent à la halle des Sept Rois. L'artiste a su saisir parfaitement l'intensité de la scène historique et évoquée dans le récit de Snorri Sturluson.

Les fils et disciples de Svipdag se rendent à la halle des Sept Rois

L'incendie de la halle des Sept Rois représenté par le dessinateur norvégien Érik Werenskjold

On y voit des flammes s’élevant vers le ciel le ciel, enveloppant la halle dans une lueur presque macabre, tandis que les silhouettes des personnages s'agitent dans la précipitation. Ce dessin, riche en détails et en émotions, dépeint la scène avec une grandeur épique. L’artiste a réussi à transmettre le chaos et l'urgence de cet événement, créant une image mémorable évoquant à la fois la tragédie et la puissance des forces en jeu.

Un timbre-poste représentant la lutte pour la liberté      

Pendant l'occupation allemande, cette histoire a été mise en parallèle avec la lutte des Norvégiens pour leur liberté : l'acte d'Ingiald, qui s'empare du pouvoir par la force, pouvait être comparé à la lutte des Norvégiens contre l'occupant. La solidarité des fils de Svipdag rappelait celle des résistants norvégiens. L'idée d'unifier le pays sous une seule autorité résonnait avec le désir des Norvégiens de retrouver leur indépendance.


L’Histoire des rois de Norvège et la prophétie de l'unité nationale

Dans l'Histoire de Halfdan le Noir, Snorri Sturluson raconte un rêve prémonitoire fait par la reine Ragnhild. Elle rêva d'un arbre géant qui s'étendait sur toute la Norvège. Cet arbre symbolisait le futur règne de son fils, Harald à la Belle Chevelure, qui allait unir le pays :

 

La reine Ragnhild, qui était une femme intelligente, était accoutumée à faire de grands rêves. Elle rêva ainsi qu'elle se trouvait dans un jardin et qu'elle enlevait une épine de sa chemise ; alors qu'elle la tenait dans sa main, l'épine se mit à croître au point de se transformer en une grande tige d'arbre.

 

L'une des extrémités de cette tige prit bientôt racine dans la terre, tandis que l'autre extrémité s'élevait haut dans le ciel. Peu après l'arbre lui apparut si grand qu'elle put à peine en apercevoir la cime; il était en outre extraordinairement large.

 

Le pied de l'arbre était rouge comme le sang, le tronc était beau et vert et les branches paraissaient blanche comme la neige. Les rameaux étaient à la fois grands et nombreux, et ils se trouvaient aussi bien en haut qu'en bas de l'arbre.

 

Ses branches étaient d'une dimension telle qu'il lui sembla qu'elles s'étendaient au-dessus de toute la Norvège, et beaucoup plus loin encore[4].

Le rêve prohpétique de la reine Ragnhild

Dans l’Histoire de Harald à la Belle Chevelure, Snorri donne l’interprétation de ce rêve :

 

Dans la première partie de sa vie, il [Harald à la Belle Chevelure] guerroya d’abondance, et l’on estime que cela renvoie au grand arbre qui était apparu en rêve à sa mère avant sa naissance : son pied était en effet rouge comme le sang, tandis qu’au-dessus le tronc était d’un beau vert, ce qui évoquait son royaume florissant, et qu’à la cime il était blanc, ce qui signifiait que Harald atteindrait un âge élevé et qu’il serait chenu.

 

Les rameaux et les branches de l’arbre annonçaient sa descendance qui de disséminerait à travers tout le pays ; depuis lors, tous les rois de Norvège sont issus de la race de Harald[5].

 

Le rêve de la reine Ragnhild symbolise les luttes de pouvoir et les conséquences des actions des nobles, ainsi que les thèmes du destin et de la prophétie.  L’illustration figurant sur le timbre-poste a été également réalisée par Erik Werenskjold.

 Le rêve de la reine Ragnhild 

Représentation de la reine Ragnhild par Erik Werenskjold

Le dessin apporte une dimension visuelle poignante à l'épisode qu'il évoque. Erik Werenskjold est parvenu à saisir la profondeur émotionnelle du rêve de la reine. L'œuvre montre Ranghild entourée d'éléments symboliques qui reflètent ses angoisses et ses prémonitions. La composition de l'image, avec ses détails soignés, permet au spectateur de ressentir la tension qui règne dans son esprit.

Le rêve de la reine Ragnhild et l'espoir des Norvégiens pendant l'occupation allemande

Le rêve de la reine Ragnhild est un symbole fort de l'identité norvégienne. Pendant l'occupation allemande, ce mythe a été utilisé pour renforcer le sentiment national. L'arbre de Ragnhild, symbole d'unité et de grandeur, représentait l'aspiration des Norvégiens à retrouver leur indépendance. L’évocation de la prophétie sur la naissance de Harald, un roi qui allait unifier le pays, était un message d’espoir pour les Norvégiens en leur rappelant leur histoire glorieuse.


La bataille de Svolder et le nationalisme norvégien      

Dans l’Histoire de Olaf Fils Tryggvi, la bataille de Svolder raconte comment le roi norvégien Olaf Tryggvason a dû affronter une coalition liguée contre lui.  Cette coalition comprenait les rois danois et suédois, ainsi que certains de ses opposants norvégiens tels que les frères Éric et Svein Hákonsson. Cette bataille a eu lieu près de l’île Svolder en mer Baltique et se solda par la défaite du roi de Norvège :

 

[…] les rois donnèrent l’ordre de faire force de rames pour venir au contact. Le roi Svein dirigea son navire contre le Grand Serpent [navire du roi Olaf] tandis que, faisant mouvement sur l’aile droite, le roi Olaf le Suédois allait heurter de ses proues les navires du roi Olaf Fils Tryggvi qui se trouvaient à l’extrémité de sa ligne[6].

Les forces coalisées s'avancent vers la flotte de Olaf Tryggvarson

Les cris des guerriers, le fracas des armes et le grondement de la bataille indiquent un combat meurtrier. Olaf Tryggvason se trouvait près de l’archer norvégien, Einar Tambarskjelfir, quand son navire se fit aborder par l’Étrave-de-fer d’Éric Hakonarson :

 

Le duc Éric vint alors placer l’Étrave-de-fer bord à bord contre le Serpent, et un combat d’estoc et de taille s’engagea.

 

Einar Tambarskjelfir était posté dans la maille étroite, à l’arrière du Serpent, et tirait à l’arc ; c’était un archer d’une adresse et d’une vigueur hors de pair. Il décrocha contre le duc Éric une flèche qui vint se planter dans la tête du gouvernail, au-dessus de la tête du duc, et s’enfonça jusqu’au fût.

 

Le duc regarda autour de lui, puis demanda à ses hommes s’ils savaient d’où venait le trait, mais aussitôt une seconde flèche arriva si près du duc qu’elle vola entre son bras et sa hanche, puis alla se ficher dans le dossier [de l’homme de barre] si profondément que la pointe et une grande partie du fût en ressortirent.

 

Le duc dit alors à l’homme qui selon certains s’appelait Finn, mais qui selon d’autres était Finnois, et qui était un excellent tireur à l’arc ; « Vise le grand gaillard qui est posté dans la maille étroite ! » Finn décrocha une flèche qui arriva au beau milieu de l’arc d’Einar, au moment même où il le bandait pour la troisième fois[7].

« Vise le grand gaillard qui est posté dans la maille étroite ! »

L’arc se fracassa alors en deux morceaux. Le roi Olaf déclara alors : « Qu’est-ce qui vient de se fracasser si bruyamment ? » Einar répondit : « C’est la Norvège, mon roi, qui vient de se fracasser entre tes mains. — Ce ne fut pas un si grand fracas, rétorqua le roi, mais prends mon arc.

 

Einar l’attrapa, engagea aussitôt une flèche et tendit l’arc bien au-delà de la pointe de la flèche. Il s’exclama alors : « Trop souple, trop souple est l’arc du souverain ! » Il rejeta l’arc, se saisit de son bouclier et de son épée et se mit à combattre[8].

 

Malgré une résistance acharnée, Olaf fut se jeta à la mer pour échapper à une capture certaine. Sa mort ouvrit la voie à une période de domination danoise en Norvège.

Division de la Norvège après la bataille de Svolder

Cette image a été modifiée avec autorisation et provient du domaine public  

Les frères Éric et Svein Hákonsson reçurent la gouvernance de la Norvège au nom des souverains de la coalition : Erik, pour le roi danois Svein à la Barbe Fourchue et Svein, pour le roi suédois Olaf Skötkonung. Pour asseoir leur autorité et sceller leur alliance, ils unirent leur sœur Bergliot à Einar Tambarskjelve, forgeant ainsi un lien avec le plus redouté des guerriers.

La bataille de Svolder prend vie sur le timbre-poste à travers la figure d'Einar Tambarskjelve, dont l’illustration a été réalisée par Christian Krohg. Einar Tambarskjelve est représenté dans une posture dynamique, mettant en avant son habileté en tant qu'archer.

 Einar Tambarskjelve essaie l'arc du roi Olaf Tryggvarson

« Trop souple, trop souple est l’arc du souverain ! » par Christian Krohg

 

Einar Tambarskjelve est dépeint avec un arc et une flèche, prêt à tirer, ce qui souligne son rôle de guerrier. Les éléments de son costume, inspirés des vêtements vikings, ajoutent à l'authenticité historique de l'œuvre.

 

La manière dont Krohg a rendu l’expression et le mouvement d'Einar Tambarskjelve contribue à créer une atmosphère captivante pour le spectateur : cette image a eu un impact significatif dans le domaine de l'art norvégien, car elle a aidé à populariser les légendes vikings et a inspiré une appréciation pour l'héritage culturel norvégien.

Einar Tambarskjelve : un héros sur un timbre-poste      

La bataille de Svolder est un symbole fort de l'histoire norvégienne. Elle rappelle les combats pour l'indépendance et l'unité du pays. Les Norvégiens admirent la bravoure d'Olaf Tryggvason et d'Einar Tambarskjelve, qui sont devenus des figures légendaires.

 

La bataille de Svolder est un événement fondateur de l'identité norvégienne. Elle rappelle aux Norvégiens leur courage et leur détermination à défendre leur pays.


Le cortège nuptial du roi Olaf de Norvège

Le XIe siècle fut marqué par de vives tensions entre les royaumes scandinaves. Olaf Haraldson, surnommé « le Gros », roi de Norvège, nourrissait un projet ambitieux : réunir l'ensemble des territoires norvégiens sous son autorité.

 

Ses desseins se trouvaient confrontés à l'opposition farouche d'Olaf Eriksson, roi de Suède. Ce dernier, soucieux de préserver l'indépendance de son royaume, s'opposait fermement à toute tentative d'hégémonie norvégienne dans la région.

 

Lors d’un þing tenu à Uppsala, Snorri raconte comment les nobles exprimèrent à Olaf Ériksson leurs préoccupations concernant la guerre avec les Norvégiens et ses conséquences néfastes sur les bœndr.

 

Les bœndr (singulier bóndi) étaient les paysans libres qui formaient la base de la société scandinave. Ils constituaient une « classe sociale » distincte entre les nobles (propriétaires de grandes terres) et les þralls (esclaves). Ils pouvaient servir de guerriers en période de conflit, lorsque cela était nécessaire[9].

 

Les bœndr participaient aux þing, dans lesquels toutes les décisions étaient prises concernant les lois et l'ordre public. Le roi devait répondre à leur volonté :

 

Le roi [de Suède] se leva et prit la parole, disant qu’il voulait faire en tout point comme le voulaient les bœndr, que c’est ce qu’avaient fait tous les rois des Suédois ; laisser les bœndr décider entre eux tout ce qu’ils voulaient[10].

 

Les bœndr exhortèrent donc Olaf de Suède à rechercher la paix avec Olaf de Norvège. Ils lui rappelèrent que ce dernier avait envoyé des offres de paix et demandé en retour la main de la fille du roi de Suède, Ingierðr : « Or, c’est notre volonté, à nous autres, bœndr, que tu fasses la paix avec Olaf le gros, roi de Norvège, et que tu lui donnes en mariage ta fille Ingierðr[11]. »

« C’est notre volonté, à nous autres, bœndr, que tu fasses la paix avec Olaf le gros. »

Le roi de Suède accepta ce mariage pour faire plaisir aux bœndr. En réalité, il détestait Olaf de Norvège de toutes les fibres de son corps.

 

Bien qu'il se soit montré en accord avec les nobles et les bœndr au þing, le roi de Suède ne souhaitait pas tenir sa promesse : « Il lui déplaisait extrêmement que les habitants du pays se fussent soulevés contre lui au þing d’Uppsalir. […] Il ne fit faire aucun préparatif pour le voyage nuptial selon ce qui avait été dit en hiver […].[12] »

 

Au printemps, Olaf de Norvège fit voile vers l’est et débarqua près de Konungahella, une ville marchande importante située sur la côte ouest de la Suède[13] : « Mais arrivés là, ils n’eurent pas de nouvelles du roi des Suédois. Personne n’était arrivé de sa part.[14] »

 

Comprenant qu’il avait été berné par le roi de Suède, Olaf de Norvège quitta Konnungahella à la fin de l’été. Le manquement à sa parole d’Olaf de Suède raviva la discorde entre les deux rois.

Un matin, le roi de Suède partit à la chasse et captura cinq coqs de bruyère. Cela le mit de bonne humeur. De retour chez lui, il rencontra sa fille et voulu lui partager sa joie :

 

Il l’accueillit en riant, montra aussitôt les oiseaux et dit : « Où vois-tu un roi qui ait fait une aussi grande chasse en aussi peu de temps ? » Elle répondit : « Voilà une bonne chasse du matin, sire, vous avez pris cinq coqs de bruyère, mais il y a mieux : quand Olaf, roi de Norvège, prit en un matin cinq rois et s’appropria tous leurs états. »

 

En entendant cela, il sauta de cheval, lui fit face et dit : « Sache, Ingierðr, que tu as beau aimer ce gros homme d’un si grand amour, tu n’en jouiras jamais et lui non plus. Je vais te marier à quelqu’un des chefs qui soit lié d’amitié avec moi […][15].

 

Ingierðr fut mariée avec un prince scandinave de la Rus' de Kiev.

« Sache, Ingierðr, que tu as beau aimer ce gros homme d’un si grand amour, tu n’en jouiras jamais et lui non plus. »

L’illustration de cet épisode sur le timbre-poste est encore tirée de l’œuvre de Christian Krohg. Elle s’intitule : Le cortège nuptial du roi Olaf. Elle montre le roi sur la mer avec sa flotte pour aller chercher sa fiancée en Suède. Krohg, connu pour son réalisme, a utilisé un style qui saisit la grandeur et le mouvement de la scène maritime.

Le cortège nuptial du roi Olaf

La représentation des navires vikings aux voiles gonflées par le vent et de la mer agitée donnent une note dynamique à la scène. Cette représentation de Krohg est une source d'inspiration pour l'exploration de l'histoire scandinave et des récits historiques.

Alliance et mariage politique sur un timbre-poste          

Cette histoire montre comment les relations entre les différents royaumes scandinaves étaient complexes et souvent marquées par les conflits. Elle souligne également l'importance des alliances et des mariages politiques pour assurer la paix et la stabilité.

 

Pendant l'occupation allemande, les Norvégiens se sont inspirés de cette histoire pour renforcer leur sentiment d'unité nationale et leur détermination à résister à l'oppression. L'histoire d'Olaf Haraldsson, qui cherchait à unifier la Norvège, a été utilisée comme un symbole de la lutte pour l'indépendance.

 

Cette histoire rappelle l'importance de la loyauté, de l'honneur et de l'unité dans les relations entre les peuples. Elle montre également comment les événements historiques peuvent influencer l'identité nationale d'un peuple.


L’identité norvégienne et la bataille de Stiklestad      

Le roi Olaf Haraldsson, un fervent chrétien, voulait étendre le christianisme à tout le pays. Cela entraîna des tensions avec les chefs païens et les seigneurs locaux qui souhaitaient maintenir leurs croyances traditionnelles.

 

Une guerre civile éclata. Les chefs païens, soutenus par les rois de Suède et du Danemark, parvinrent à déposer Olaf Haraldsson en 1028. Ce dernier dut s’exiler à Novgorod en Rus' de Kiev. Dans son récit, Snorri explique les raisons pour lesquelles les chefs locaux norvégiens se sont révoltés contre Olaf :

 

La coutume avait été bien établie en Norvège que les fils des barons ou des puissants bœndr partent sur des bateaux de guerre et acquièrent du bien en ravageant tant à l’étranger qu’à l’intérieur du pays. Mais après qu’Olaf eut pris le pouvoir, il pacifia si bien son pays qu’il fit cesser tout pillage […][16].

 

L’origine de la rébellion que firent les gens du pays contre le roi Olaf, ce fut qu’ils ne toléraient pas son équité, mais il [Olaf] préférait renoncer à sa dignité plutôt qu’à la justice[17].

 

En 1029, Olaf revint en Norvège pour tenter de reprendre le pouvoir. À la tête d'une armée de 3 600 hommes, il traversa la Suède et entra dans son pays.

Le retour d'Olaf Haraldsson en Norvège

Arrivé aux abords de Stiklestad, plus précisément à la ferme de Sul dans le Trøndelag, il se retrouva face à une armée comptant environ 7 000 combattants :

 

Les barons et les bœndr avaient assemblé une armée formidable dès qu’ils avaient appris que le roi avait quitté le Garðaríki [Russie] et qu’il était arrivé en Suède.

 

[…] ils dirigèrent l’armée à l’intérieur du Þrandheimr, y rassemblèrent le tout-venant, manants et esclaves, pénétrèrent ainsi dans le Veradalr et avaient une armée si grande qu’il n’y avait homme en Norvège pour avoir vu rassemblement si important.

 

[…] Cette troupe était enragée de haine contre le roi[18].

 

Le texte de Snorri souligne les efforts d'Olaf Haraldsson pour pacifier la Norvège et instaurer un ordre juridique. Pourtant, la bataille de Stiklestad montre que ces réformes ont suscité des résistances profondes, notamment parmi les populations rurales (les bœndr) qui se sont senties menacées dans leurs coutumes.

 

L’illustration de la scène représentée sur le timbre-poste a été réalisé par Halfdan Egedius (1877-1899), un jeune illustrateur Norvégien influencé par Erik Werenskjold. Egedius a un style qui mélange réalisme et éléments narratifs, ce qui rend ses œuvres particulièrement captivantes.

Avant la bataille de Stiklestad

« Sur chaque chemin il y avait des gens » par Halfdan Egedius

L'image montre des bœndr marchant le long d'un chemin pour se rendre au champ de bataille de Stiklestad. Leur posture et leur équipement indique qu'ils sont en route pour une mission significative. La scène se déroule dans un cadre champêtre, avec des champs et des collines représentatifs de la campagne scandinave. Ces éléments rustiques ajoutent une dimension réaliste à la scène.

Résistance nationale norvégienne sur timbre-poste     

La bataille de Stiklestad, selon le récit de Snorri, s’est déroulée comme suit : les deux armées, prêtes au combat, s'affrontèrent dans un rugissement de colère. C'est Þórir le chien qui, à la tête des bœndr, donna le signal de l'assaut, son cri de guerre déchirant l'air :

 

« En avant, en avant, hommes des bœndr ! » – on poussa le cri de guerre et l’on décrocha flèches et lances. Les hommes du roi poussèrent le cri de guerre et, cela fait, s’excitèrent comme on leur avait prescrit, disant : « En avant, en avant, homme du Christ, hommes de la Croix, hommes du roi ! » […] La bataille devint bientôt meurtrière et maint homme tomba de part et d’autre[19]

« En avant, en avant, hommes des bœndr ! »

Le roi Olaf se battit fort vaillamment. Il asséna un coup d’épée en travers du visage à Þorgeirr Kviststaðir […] trancha le nasal de son heaume et lui fendit la tête en dessous des yeux si bien qu’elle sauta presque. […] À ce moment, Þórðr baissa si rudement la hampe de l’étendard qu’elle resta fichée en terre. Il venait de recevoir une blessure mortelle et tomba là, sous l’étendard[20].

 

Þorsteinn charpentier de knörr asséna un coup de hache au roi Olaf, ce coup arriva sur la jambe gauche, au-dessus du genou. Finnr Árnason tua aussitôt Þorsteinn. À cette blessure, le roi s’appuya sur une pierre, jeta son épée et pria Dieu de lui venir en aide.

 

Alors Þórir le chien lui donna un coup de lance. Ce coup arriva sous la broigne et remonta dans le ventre. Alors Kálfr le frappa. Ce coup arriva sur le côté gauche du cou. […] Ce sont ces trois blessures qui firent perdre la vie au roi Olaf[21].

Représentation de la mort du roi Olaf Haraldsson par Halfdan Egedius

La mort d’Olaf marqua un tournant significatif dans l'histoire de la Norvège. Les motifs de sa conduite ont rapidement été réévalués et il fut aussitôt considéré comme un martyr. Sa dépouille a été transportée à Trondheim, où elle est encore vénérée de nos jours.

 

Snorri termine son récit en racontant que les chefs locaux allèrent en Rus' de Kiev chercher Mágnus, le fils d’Olaf, pour le couronner roi de Norvège.

 

La bataille de Stiklestad représente un moment clé de l'histoire norvégienne, durant lequel le pays a lutté pour préserver son indépendance face à des puissances étrangères telles que le Danemark. La mort d'Olaf Haraldsson est perçue comme un sacrifice ultime pour la Norvège, renforçant ainsi le sentiment d'héroïsme et de fierté nationale.

 

Au fil des siècles, la bataille de Stiklestad est devenue un mythe fondateur, transmis de génération en génération, et célébré lors de reconstitutions historiques et de représentations théâtrales.


Une nation meurtrie : l'occupation nazie et son héritage en Norvège

La fin de l'occupation allemande de la Norvège est survenue en mai 1945, lorsque les forces allemandes ont capitulé face aux Alliés. Après cinq ans d'occupation, marquée par des répressions sévères et des restrictions sur les libertés civiles, cet événement a été accueilli avec un immense soulagement par la population norvégienne.

 

Le 8 mai 1945, le gouvernement norvégien en exil, dirigé par le Premier ministre Johan Nygaardsvold, a pu revenir dans le pays, rétablissant ainsi la souveraineté norvégienne. Le roi Håkon VII revint en Norvège en juin et fut accueilli comme un héros national. Il continua de régner jusqu'à sa mort en 1957. Pour les Norvégiens, Håkon VII incarne la lutte pour l'indépendance et la dignité de la Norvège pendant les heures les plus sombres du pays.

Le roi Håkon VII est accueilli en héros par les Norvégiens

La dénazification de la Norvège : la guérison d’une nation    

L’occupation allemande a eu des répercussions profondes sur la société norvégienne, entraînant des changements politiques, sociaux et culturels. Les pertes humaines ont été importantes, avec des milliers de Norvégiens tués au combat ou exécutés par les nazis. De plus, l'économie a été gravement affectée par la guerre et les réquisitions.

 

Après la libération, la Norvège a dû faire face à un processus de dénazification, visant à traiter les conséquences de l'occupation nazie. L’objectif était de rétablir la démocratie, la justice et la confiance du peuple dans les institutions publiques.

 

Voici les principales caractéristiques de la dénazification norvégienne :

 

  • Les autorités norvégiennes ont commencé par identifier les collaborateurs qui avaient soutenu le régime nazi. Cela incluait les membres du gouvernement de Vidkun Quisling, les fonctionnaires, les policiers et toutes personnes ayant collaboré avec les nazis.

 

  • Un des aspects clés de la dénazification a été la tenue de procès. Des milliers de personnes soupçonnées de collaboration ont été arrêtées et traduites en justice. Le procès le plus notable a été celui de Vidkun Quisling, qui fut condamné à mort et exécuté en octobre 1945. D'autres collaborateurs ont également été jugés et condamnés, certains à des peines de prison, tandis que d'autres ont été acquittés.

 

  • La dénazification a également impliqué des réformes politiques visant à restaurer la démocratie. Cela a inclus la réécriture de la constitution, la réintégration des partis politiques et la mise en place de nouvelles lois pour protéger les droits civiques.

 

  • Bien que la dénazification ait conduit à des poursuites judiciaires, il y avait également une volonté de réconciliation nationale. Les Norvégiens ont été encouragés à réfléchir à leur expérience pendant la guerre, tant du point de vue des résistants que de celui des collaborateurs. Ce processus a été difficile, car il a soulevé des questions sur la responsabilité collective et individuelle.

Les Norvégiens ont été encouragés à réfléchir à leur expérience pendant la guerre

  • La dénazification a également été axée sur l'éducation et la mémoire. Des efforts ont été faits pour éduquer les jeunes générations sur les dangers du totalitarisme, du fascisme et de la collaboration. Des musées, des monuments et des événements commémoratifs ont été établis pour honorer ceux qui ont résisté et pour ne pas oublier les horreurs de la guerre.

Vers une nation plus forte      

La dénazification a eu des répercussions durables sur la société norvégienne. Elle a contribué à la construction d'une identité nationale fondée sur des valeurs démocratiques et la protection des droits de l'homme. Cela a également renforcé l'engagement de la Norvège en faveur de la paix, de la coopération internationale et de la solidarité.

 

L'occupation allemande a suscité un sentiment de fierté nationale et d'unité. La résistance norvégienne a été célébrée comme un symbole de bravoure et de détermination. Dans les années qui ont suivi la guerre, la Norvège a travaillé à la construction d'une mémoire collective autour de l'occupation nazie.

 

Les conséquences de l'invasion ont également influencé les relations entre la Norvège et l'Allemagne après la guerre. Bien que les relations se soient améliorées avec le temps, la mémoire de l'occupation reste un sujet sensible dans les discussions historiques et politiques.


Snorri Sturluson : un héritage littéraire au service de la nation

La série philatélique à la mémoire du 700e anniversaire de la mort de Snorri Sturluson constitue une déclaration puissante du nationalisme norvégien en pleine occupation allemande. À travers la mise en avant d'une figure littéraire emblématique, la Norvège a rappelé à son peuple et au monde l'importance de son patrimoine culturel en regard de l'oppression dont elle était victime.

 

Les illustrations des timbres-poste évoquent à la fois l'héritage littéraire de Snorri Sturluson et la force des Norvégiens dans leur lutte pour leur indépendance. En réinterprétant ces récits historiques, les Norvégiens se sont inspirés de leur passé pour nourrir un sentiment d'identité nationale et de résistance, faisant des timbres-poste une véritable ode à l'héroïsme de la culture norvégienne.

R. Simard

Références

[1] STURLUSON, Snorri, Histoire des Ynglingar dans Histoire des rois de Norvège, traduit du vieil islandais, introduit et annoté par François-Xavier Dillmann, 2000, Gallimard, coll. « L’aube des peuples », p. 94.

[2] STURLUSON, Snorri, Histoire des Ynglingar… p. 95.

[3] STURLUSON, Snorri, Histoire des Ynglingar… p. 95.

[4] STURLUSON, Snorri, Histoire de Halfdan le Noir dans Histoire des rois de Norvège, traduit du vieil islandais, introduit et annoté par François-Xavier Dillmann, 2000, Gallimard, coll. « L’aube des peuples », p. 114.

[5] STURLUSON, Snorri, Histoire de Harald à la Belle Chevelure dans Histoire des rois de Norvège, traduit du vieil islandais, introduit et annoté par François-Xavier Dillmann, 2000, Gallimard, coll. « L’aube des peuples », p. 162.

[6] STURLUSON, Snorri, Histoire du roi Olaf Fils Tryggvi dans Histoire des rois de Norvège, traduit du vieil islandais, introduit et annoté par François-Xavier Dillmann, 2000, Gallimard, coll. « L’aube des peuples », p. 343.

[7] STURLUSON, Snorri, Histoire du roi Olaf Fils Tryggvi… p. 343.

[8] STURLUSON, Snorri, Histoire du roi Olaf Fils Tryggvi… p. 344-345.

[9] BOYER, Régis, L’Islande médiévale, 2001, Les Belles Lettres, p. 50.

[10] BOYER, Régis, La saga de saint Óláf tirée de la Heimskringla de Snorri Sturluson, 1992, Éditions Payot, p. 90.

[11] BOYER, Régis, La saga de saint Óláf… p. 90.

[12] BOYER, Régis, La saga de saint Óláf… p. 99.

[13] Konnungahella correspond à l'emplacement de la ville suédoise de Kungälv. Cette ville était un carrefour commercial important entre la Scandinavie et l'Europe continentale entre le XIe et le XIVe siècle. Konnungahella était spécialisée dans le commerce de la fourrure, de l'ambre et des métaux. La ville était protégée par des fortifications solides et comprenait un centre administratif et religieux.

[14] BOYER, Régis, La saga de saint Óláf… p. 98.

[15] BOYER, Régis, La saga de saint Óláf… p. 99-100.

[16] BOYER, Régis, La saga de saint Óláf… p. 218.

[17] BOYER, Régis, La saga de saint Óláf… p. 219.

[18] BOYER, Régis, La saga de saint Óláf… p. 243.

[19] BOYER, Régis, La saga de saint Óláf… p. 248-249.

[20] BOYER, Régis, La saga de saint Óláf… p. 250.

[21] BOYER, Régis, La saga de saint Óláf… p. 252.

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