Chronique sur l'histoire des routes commerciales
Découvrez comment la route commerciale de la mer Baltique a façonné les destinées économiques et culturelles de l'Europe du Nord : du rôle stratégique de l'Estonie à l'influence de puissants souverains comme Svend Estridsen, cette chronique vous plonge dans l'histoire fascinante de ce carrefour maritime qui a ouvert la voie à l'âge d'or du commerce médiéval.
Les anciennes routes commerciales
Série philatélique estonienne
Émise le 17 septembre 2003
Les anciennes routes commerciales
Série philatélique ukrainienne
Émise le 17 septembre 2003
Les Xe et XIe siècles constituent une période de transition pour le commerce de la mer Baltique. De nouvelles dynamiques commencent à émerger avec l'établissement de contacts plus permanents entre les peuples de la Baltique et les marchands scandinaves. On y observe une intensification des échanges commerciaux et des contacts entre les différentes cultures.
Cette période jeta les bases du développement ultérieur des grandes villes commerçantes et des alliances commerciales qui caractériseront l'âge d'or du commerce baltique : le commerce de la Ligue hanséatique du XIIe au XIVe siècles.
Au IXe siècle, la route commerciale de la Baltique trouvait sa connexion avec la route des Varègues aux Grecs dans la région estonienne.
L’Estonie : au carrefour des routes commerciales
L'Estonie, avec ses nombreux ports naturels sur la côte de la mer Baltique, occupait une position stratégique sur la route commerciale qui reliait l'Europe du Nord à la Russie actuelle. Cette situation en faisait un point de passage essentiel pour les marchands scandinaves et un lieu de convoitise pour les puissances voisines cherchant à contrôler le commerce régional.
Des enfants de la mer Baltique
Les habitants de l’Estonie actuelle formaient des peuplades tribales structurées en clans familiaux, dont la vie était intimement liée à la mer Baltique. La pêche, le commerce maritime et la construction navale étaient leurs principales activités économiques. La piraterie était une composante souvent présente de leur existence.
Ces peuplades vivaient isolées les unes des autres. L'archéologie et la linguistique ont révélé que les langues et les coutumes des Estoniens variaient suffisamment d'une région à l'autre pour qu'on puisse y identifier plusieurs groupes ethniques distincts. Les sources de l'époque décrivent aussi ces peuplades comme étant en conflit quasi permanent[1].
Peuplade vivant sur les côtes de la terre estonienne
Le paganisme de ces peuples était centré sur le culte des esprits de la nature, des ancêtres et de divinités locales. Leurs rituels et cérémonies religieuses rythmaient leur vie quotidienne, témoignant d'une forte connexion à leur environnement.
Un chroniqueur et historien du XIe siècle fournit des descriptions précieuses sur la géographie et les sociétés de la mer Baltique. Il décrit les habitants du territoire estonien à travers le prisme des préjugés propres à son statut d'homme d'Église :
On m’a encore rapporté qu’il y a sur cette mer un grand nombre d’autres îles, dont l’une est vaste et porte le nom d’Estonie. […] Ses habitants vivent aussi dans une grande ignorance du Dieu des chrétiens. Ils adorent des dragons et des oiseaux, auxquels ils sacrifient même des hommes vivants, qu’ils achètent aux marchands d’esclaves après avoir bien vérifié qu’ils ne présentent aucun défaut corporel[2].
Bien que politiquement fragmentés, les habitants de cette région faisaient preuve d'une résistance tenace face aux invasions extérieures, préfigurant ainsi leur identité nationale marquée par un fort sentiment d'indépendance.
Les fortifications danoises : piliers stratégiques de la route commerciale de la Baltique
À partir du VIIIe siècle, l’économie des Estoniens connut un essor significatif, marqué par des contacts de plus en plus fréquents avec des marchands Scandinaves, désireux de créer des points de passage stratégiques pour faciliter le commerce avec Byzance[3].
Les fortifications et les établissements fondés par les Danois sur le territoire estonien témoignent encore aujourd’hui de cette époque où la région était un carrefour reliant les anciennes routes commerciales. Ces fortifications servaient de postes avancés pour le contrôle de la route commerciale et la protection des colons.
Représentation d'une fortification danoise en Estonie
Parmi les traces les plus notables de ces avants postes, on trouve les vestiges de forts en bois et en pierre tels que ceux trouvés à Iru (village à l’est de Talinn) et à Otepää (ville située à environ 136 km au sud-est de Tallinn). Le site archéologique d'Iru est un lieu de grande importance historique et culturelle, particulièrement en lien avec la route commerciale de la Baltique.
Les fouilles ont mis au jour des habitations, des remparts de bois et de pierre, ainsi que des objets comme des céramiques, des outils en métal et des bijoux. Ces artefacts témoignent des échanges commerciaux avec d'autres régions telles que la Scandinavie ou les régions slaves et germaniques.
Les Scandinaves ne se sont pas installés dans ces régions, jugées trop pauvres en ressources pour les retenir. Ils ont préféré les terres plus fertiles de Novgorod et, par la suite, de Kiev, où ils se sont établis sous le nom de Rus.
Aux rivages de la mer Baltique : les ports et centres d’échanges
Au début du XIe siècle, la mer Baltique était déjà un axe commercial majeur. Plusieurs ports, véritables carrefours d’échanges, jouaient un rôle pivot dans les relations économiques entre les différentes régions riveraines. Les principaux ports de cette période étaient :
Les ports scandinaves
- Birka (Suède) : située sur l'île de Björkö dans le lac Mälaren, Birka est l'un des plus anciens centres commerciaux de la Scandinavie. Birka a été important dans les échanges pour le commerce des fourrures, de l'ambre et des esclaves.
- Hedeby (Danemark-Allemagne) : situé à l'entrée de la mer Baltique, Hedeby servait de point de transit pour les marchandises venant du sud de la Baltique et de l'Europe occidentale.
Les ports baltes
- Riga (Lettonie actuelle) : Riga émergea au XIe siècle comme un port important sur la Daugava, une voie fluviale stratégique reliant la mer Baltique aux régions slaves et finnoises. Riga devint progressivement un point de convergence pour les routes commerciales terrestres et maritimes.
- Tallinn (Estonie actuelle) : connue sous le nom de Reval au XIe siècle, Tallinn s’est développée comme un port stratégique en raison de sa position sur la côte nord de l'Estonie. Bien que son essor majeur soit survenu plus tard, Tallinn servait au XIe siècle de point d'ancrage pour les navires scandinaves et estoniens.
Les ports de la Russie actuelle
- Novgorod (Russie actuelle) : bien que située à l'intérieur des terres, Novgorod est reliée à la Baltique par le fleuve Volkhov. Le port de Novgorod a été un centre majeur pour les échanges entre les marchands scandinaves, baltes et slaves.
- Staraya Ladoga (Russie actuelle) : située près de la sortie du lac Ladoga, cette ville a été un autre port important pour les marchands scandinaves. Staraya Ladoga servait de point de départ pour les expéditions commerciales vers le sud, en direction de Constantinople et de la mer Caspienne via les rivières russes.
Le port de Gdańsk
- Cette ville (Dantzig en Pologne actuelle) était un port émergent situé sur la côte sud de la mer Baltique. Gdańsk facilitait les échanges entre la Pologne et les régions plus à l'ouest.
Ces ports servaient de points de rassemblement pour les marchands, de lieux de stockage pour les marchandises, et de centres d'échange culturels et économiques.
De Novgorod à Hedeby : les richesses de l'Europe du Nord
Les centres d'échange de la route commerciale de la Baltique regorgeaient de marchandises variées, reflétant la diversité des ressources. Parmi les produits les plus prisés, on pouvait trouver :
Des produits alimentaires
Le hareng était l'un des poissons les plus abondants dans la mer Baltique. Il constituait une source majeure de nourriture pour les communautés côtières. Le hareng était séché ou salé pour être exporté vers les régions plus au sud, où il était un aliment essentiel.
Les céréales étaient une marchandise importante, surtout en provenance des plaines fertiles autour de la mer Baltique, comme la région de la Prusse et celle de la Livonie. Le blé, le seigle et l'orge étaient échangés contre d'autres produits, contribuant ainsi à la sécurité alimentaire des régions plus éloignées.
Le miel était utilisé comme édulcorant et comme base pour la fabrication de l'hydromel, une boisson alcoolisée populaire. Le miel de la Baltique était prisé dans les régions où la production de sucre n'était pas encore développée.
Des ressources forestières
Les vastes forêts des régions de la Baltique étaient exploitées pour le bois, un matériau essentiel pour la construction navale et la fabrication d'outils, de meubles et de maisons.
Le goudron, produit à partir du bois de pin, était une marchandise clé, utilisé pour imperméabiliser les navires et les toitures.
Une grande partie de la cire du commerce de la Baltique provenait des vastes forêts de l'Europe de l'Est, notamment de l'Estonie. L'apiculture forestière était une pratique courante chez les Estoniens. Les habitants récoltaient la cire en accédant aux ruches naturelles dans les forêts, une tâche souvent dangereuse mais rentable.
Les églises, les monastères et les résidences nobles en Europe centrale et occidentale étaient de grands consommateurs de bougies et la cire provenant des régions de la Baltique était très recherchée. Les bougies de cire d'abeille brûlaient plus proprement et plus longtemps que celles fabriquées à partir de graisses animales.
Des fourrures et des textiles
Les fourrures étaient l'une des marchandises les plus précieuses échangées le long de la route baltique. Les régions nordiques, en particulier la Scandinavie et la Russie actuelle, étaient reconnues pour leurs fourrures de qualité supérieure. Ces fourrures étaient très prisées dans toute l'Europe pour la confection de vêtements chauds et luxueux.
Le lin était cultivé principalement dans les régions actuelles de l'Estonie, de la Lettonie et de la Lituanie, ainsi que dans certaines parties de la Scandinavie.
Le tissu de lin, apprécié pour sa durabilité et sa fraîcheur, était utilisé pour confectionner des vêtements, des draps, et d'autres textiles domestiques. Les vêtements en lin étaient particulièrement recherchés dans les climats plus chauds de l'Europe, car ils étaient légers et respirants.
Le lin servait aussi de matière première pour la fabrication de cordes et de filets, essentiels pour les activités de pêche, particulièrement importantes dans les régions maritimes de la Baltique. Les filets en lin étaient réputés pour leur solidité et étaient donc très demandés.
Les Estoniens cultivaient du lin
… Sans oublier les esclaves
La ville danoise de Hedeby, située dans l'actuel Schleswig-Holstein (Allemagne) était un centre majeur du commerce des esclaves dans la route commerciale de la Baltique. Fondée au début du IXe siècle, Hedeby se trouvait à la frontière entre les mondes germanique et slave, ce qui en faisait un carrefour stratégique pour les échanges entre les différentes cultures d'Europe du Nord, de l'Est et de l'Ouest.
Les esclaves, appelés thralls en langue norroise, étaient vendus dans ce port avant d'être redistribués vers des destinations variées. Ce commerce des esclaves, bien que moralement condamnable par les standards modernes, était une part importante de l'économie de l'époque et contribuait de manière significative à la prospérité de Hedeby.
Hedeby, perle du commerce viking
Au début du XIe siècle, la ville fortifiée de Hedeby, au Danemark, constituait le centre commercial le plus important de la mer Baltique. Copenhague n'était encore qu'un petit village de pêcheurs et un modeste port sur la côte est de l'île de Seeland.
À cette époque, cette localité n’avait pas encore atteint l’importance stratégique qui allait faire d’elle la capitale du royaume danois au fil des siècles. La capitale du Danemark était alors Roskilde, une ville située à environ 30 kilomètres à l'ouest de l'actuelle Copenhague.
Birka était la seule ville scandinave qui pouvait concurrencer Hedeby en tant que centre commercial majeur. Fondée vers le milieu du IXe siècle, Birka était située sur l'île de Björkö, dans le lac Mälaren, à environ 30 kilomètres à l'ouest de l'actuelle ville de Stockholm. Birka constituait la plupart du temps le point de départ de la Scandinavie, vers les régions lointaines de l'Europe de l'Est, de l'Empire byzantin et du monde arabe.
Les relations entre Birka et Hedeby étaient principalement de nature commerciales, les deux villes jouant des rôles complémentaires dans le réseau de la mer Baltique. Les marchands voyageaient souvent entre les deux villes, échangeant des marchandises comme des fourrures, du fer, de l'ambre et des produits de luxe provenant de l'Orient.
Bien que concurrentes, Birka et Hedeby faisaient partie d'un réseau commercial interconnecté, qui favorisait la prospérité de ces deux centres commerciaux, plutôt que d'alimenter une véritable rivalité directe.
Le récit du missionnaire saint Anschaire nous renseigne sur les dangers que comportait la navigation en mer Baltique. Embarqué à Hedeby, il se rendait à Birka à bord d’un navire marchand :
À mi-parcours à peu près, ils eurent affaire à des pirates. Les marchands qui voyageaient avec eux se défendirent vaillamment et eurent d’abord le dessus, mais, au second assaut, furent défaits par l’assaillant, qui fit main basse sur leurs bateaux et s’empara de tous leurs biens. Eux-mêmes ne purent qu’à grand-peine gagner la terre ferme et s’enfuir à pied[4].
L'année 1049 marqua un tournant concernant la prospérité de Hedeby. Harald l’Impitoyable, roi de Norvège, lança une offensive contre son ennemi juré, Svend Estridsen, roi de Danemark. Un poème, attribué à l'un des guerriers ayant survécu à la bataille, exalte la victoire norvégienne et la dévastation infligée à la ville de Hedeby :
Sous le coup de la colère, Hedeby fut incendié d’un bout à l’autre et c’est, à mon avis, ce qu’on appelle un acte courageux. On espère que nous ferons du tort à Svend ; j’étais sur le rempart de la forteresse la nuit avant l’aube ; de hautes flammes s’élevaient des maisons[5].
Hedeby fut complètement dévastée par l'incendie de 1049
Malgré les lourdes pertes subies, Svend Estridsen survécu à la bataille, poursuivant pendant plusieurs années sa lutte contre Harald l’Impitoyable pour le contrôle du Danemak. En 1064, les deux souverains conclurent une trêve, chacun reconnaissant l'autorité de l'autre sur son propre royaume.
Harald l’Impitoyable se tourna alors vers d'autres ambitions, tandis que Svend Estridsen s’occupa de renforcer son pouvoir au Danemark. Quant à la ville ruinée de Hedeby, son rôle commercial fut repris par la ville voisine de Schleswig.
Aujourd'hui, les vestiges de Hedeby constituent un site archéologique important qui offre un aperçu précieux de la vie et du commerce en Scandinavie et en Europe du Nord. Le site est inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO, reconnaissant ainsi son importance historique et culturelle.
Svend Estridsen : l'architecte de la monarchie danoise
Svend Estridsen, également connu sous le nom de Svend Ulfsson, régna sur le Danemark de 1047 à 1076. Fils de la princesse Estrid Svendsdatter, sœur du roi Knut le Grand, Svend était profondément enraciné dans la royauté scandinave.
Il avait succédé à Magnus le Bon sur le trône du Danemark, après une série de conflits et d'alliances complexes entre les différents souverains des royaumes scandinaves. Il avait profité de l’instabilité politique pour asseoir son pouvoir sur le royaume danois.
Svend Estridsen est surtout connu pour ses efforts visant à centraliser le pouvoir royal, en réduisant l'influence des nobles et en forgeant des liens plus étroits avec l'Église.
Sa personnalité est souvent décrite comme étant pragmatique et diplomatique, utilisant la négociation autant que la force pour atteindre ses objectifs. Son règne est généralement considéré comme une période de stabilisation et de consolidation pour le royaume danois.
Représentation de Svend Estridsen
Ce roi eut un grand nombre d'enfants, dont cinq devinrent rois du Danemark après lui. À sa mort, il laissa un royaume plus unifié et plus fort, ainsi qu'une lignée royale qui allait dominer le Danemark pendant plusieurs générations.
Svend Estridsen et la route commerciale de la Baltique
Svend Estridsen a joué un rôle important dans le développement et la consolidation de la route commerciale de la Baltique. Sous son règne, le Danemark a renforcé son contrôle sur cette route en sécurisant les détroits du Danemark (Øresund, Grande Ceinture, et Petite Ceinture).
Ces détroits étaient des points de passage obligatoires pour les navires traversant la Baltique, afin d’atteindre la mer du Nord. Dans ces points stratégiques, des taxes étaient prélevées sur les navires marchands, augmentant ainsi les revenus du royaume danois.
Représentation de l'un des détroits du Danemark
De plus, Svend Estridsen chercha à stabiliser la région de la Baltique en développant des relations diplomatiques avec les puissances voisines comme la Suède et d'autres États de la mer Baltique.
Il consolida également l'influence danoise sur les régions des côtes baltes, y compris la région estonienne. Ces actions ont contribué à faire du Danemark un acteur clé dans le commerce maritime nordique.
Svend Estridsen et la christianisation du Danemark
Svend Estridsen a aussi contribué de manière significative à la christianisation du royaume danois. Bien que le christianisme ait été introduit au Danemark dès la fin du Xe siècle, c'est sous son règne que la religion chrétienne s'est véritablement enracinée dans la société danoise.
Autour de l'an mil, l'archevêché de Hambourg-Brême était une importante institution ecclésiastique du Saint-Empire romain germanique. Sous l'impulsion de ses archevêques ambitieux, cette métropole ecclésiastique cherchait à maintenir son influence religieuse et politique dans toutes les régions nordiques.
L'archevêché de Hambourg-Brême revendiquait une juridiction ecclésiastique sur les régions scandinaves, y compris le Danemark.
Représentation de la cité ecclésiastique de Hambourg
Svend Estridsen : les enjeux d'un archevêché national
Svend Estridsen, lui-même chrétien, comprenait l'importance de renforcer les liens entre la monarchie et l'Église : la religion chrétienne se présentait comme un outil de premier choix pour légitimer son pouvoir et unifier son royaume.
Cependant, le roi souhaitait que le Danemark dispose de son propre archevêché, afin de réduire sa dépendance vis-à-vis d'une autorité étrangère comme l'archevêché de Hambourg-Brême.
Cette indépendance religieuse permettrait au souverain de prendre le contrôle des vastes terres et des richesses de l'Église, qui avaient une importance non négligeable dans l'économie du royaume.
En maîtrisant les biens ecclésiastiques, le roi pourrait centraliser les revenus, facilitant ainsi le financement de l'administration, des infrastructures et des opérations militaires.
De plus, la nationalisation de l'Église danoise permettrait aussi de conserver les revenus ecclésiastiques dans le royaume, évitant ainsi leur transfert vers Rome sous forme de taxes ou de dîmes.
Un tournant pour la Scandinavie : l’archevêché de Lund
Sven Estridsen est parvenu à convaincre le pape Grégoire VII de créer un nouvel archevêché à Lund, ce qui fut fait en 1103 –après la mort de Svend.
Lund était une localité située dans la région de Scanie, au sud de la Suède actuelle. À cette époque, cette région appartenait au Danemark. Lund devint dès lors le centre religieux le plus important de Scandinavie, réduisant considérablement l'influence de l’archevêché de Hambourg-Brême en Scandinavie.
Cette autonomie religieuse renforça l'indépendance politique de la région, essentielle pour la protection et le développement des intérêts économiques liés à la route commerciale de la Baltique ; elle consolidait la position du Danemark en tant que puissance dominante dans les échanges nordiques.
Plusieurs diocèses danois furent créés à la fin du règne de Svend, renforçant ainsi la structure ecclésiastique dans le royaume. Parmi les plus notables, on peut citer les diocèses de Roskilde, Odense, Ribe, et Aarhus, qui sont devenus des centres importants de la vie religieuse danoise.
Svend Estridsen a également favorisé la construction d'églises en pierre, marquant un tournant symbolique dans la christianisation du Danemark. Ces églises servaient non seulement de lieux de culte, mais aussi de centres communautaires. Elles symbolisaient le nouveau pouvoir religieux qui se superposait aux anciennes croyances païennes.
Svend a promu l'éducation et la formation du clergé, s'assurant que les prêtres danois soient mieux instruits et capables de diffuser les enseignements chrétiens de manière efficace.
Svend Estridsen a laissé une empreinte durable sur le développement économique et commercial de la mer Baltique au début du IIe millénaire. Il a fait aussi du Danemark un carrefour incontournable du commerce médiéval en Europe du Nord.
L’Estonie et la route commerciale de la Baltique
Le second timbre-poste de la série présente divers éléments visuels qui soulignent le thème de la route commerciale de la Baltique, ainsi que l'importance géographique de l'Estonie dans ce cadre.
L’illustration colorée du centre de l’image montre un bateau scandinave à rames longues. Il est manœuvré par plusieurs personnages habillés de tenues aux couleurs vives. Ils portent des casques et semblent être des marins ou des guerriers nordiques.
Une carte stylisée montre un itinéraire maritime ponctué de points importants. Elle semble relier différentes localités d'Europe du Nord et d’Europe de l'Est. On peut apercevoir des noms de villes ou de lieux tels que « Novgorod » et « Pskov », ce qui évoque la route commerciale des Varègues aux Grecs, reliant la mer Baltique à l'Empire byzantin.
Le mot Eesti écrit en haut à droite signifie Estonie. En dessous, la valeur du timbre est inscrite à 6,50 : 6 couronnes estoniennes et 50 senti. Il faut 100 senti pour obtenir 1 couronne estonienne.
La couronne estonienne (Eesti kroon) a été la monnaie nationale de l'Estonie jusqu'à son remplacement par l'euro le 1er janvier 2011. La couronne estonienne avait été mise en circulation le Ier janvier 1928, en remplacement du mark estonien. Le terme « couronne » était directement inspiré par la couronne danoise, un pays avec lequel l'Estonie partageait depuis longtemps des relations historiques.
Le denier d'argent de Svend Estridsen
L'illustration du timbre-poste présente également une pièce de monnaie frappée sous le règne de Svend Estridsen, le denier d’argent (ou penny). Cette monnaie était typique de l'époque médiévale dans toute l'Europe. Le denier était une petite pièce d'argent qui servait à la fois pour les transactions quotidiennes et pour les échanges commerciaux de plus grande envergure.
Une face de la pièce représentait l'effigie du roi, accompagnée d'une légende indiquant son nom et son titre en latin : SVEND REX AD DENER (Svend Roi des Danois). L'autre face comportait des motifs variés tels que des croix chrétiennes, des symboles religieux ou des motifs géométriques.
Denier d'argent du rois danois Svend Estridsen
Sous le règne de Svend Estridsen, les pièces étaient frappées dans plusieurs ateliers monétaires répartis dans différentes villes du Danemark, telles que Lund, Ribe, Roskilde, et Hedeby (avant l’incendie, bien entendu).
Cette répartition géographique des ateliers monétaires reflétait l'importance économique des centres urbains danois. Les pièces danoises de cette période montrent une influence anglaise significative, qui résulte de l'époque où l’oncle de Sven, Knut le Grand, régnait à la fois sur l'Angleterre et le Danemark.
La monnaie : un outil de pouvoir
En frappant sa propre monnaie, Sven Estridsen a affirmé l'indépendance et la souveraineté de son royaume. Cette pratique permettait aux rois de renforcer leur autorité en marquant leur domination sur les échanges économiques.
Les pièces frappées sous Sven Estridsen arborent souvent des symboles chrétiens. Ils reflètent l'adoption officielle du christianisme au Danemark. Cette iconographie symbolisait l'intégration du royaume danois dans la chrétienté européenne et son engagement dans cette foi.
La monnaie frappée sous le règne de Svend Estridsen a contribué à la standardisation des échanges commerciaux : elle a facilité les transactions à l'intérieur du royaume ainsi qu'avec d'autres régions, notamment l'Angleterre, la Scandinavie et les territoires baltes, où les Danois maintenaient d'importantes relations commerciales.
Le denier d’argent de Sven Estridsen symbolise le prestige international du Danemark et son intégration au réseau commercial de la Baltique.
La religion pour dominer les routes commerciales
Vladimir Ier de Kiev et Sven Estridsen de Danemark, bien qu'ayant régné à des époques et dans des contextes géographiques différents, avaient tous deux compris l'importance de la religion comme levier économique.
En adoptant le christianisme orthodoxe, Vladimir a ouvert les portes de la Rus' de Kiev aux riches réseaux commerciaux de l'Empire byzantin ; il a fait de Kiev un carrefour incontournable entre l'Europe du Nord et le monde méditerranéen.
De son côté, Sven Estridsen a renforcé l'autorité royale danoise en s'affranchissant de l'influence de l'Église de Rome via l’archevêché de Hambourg-Brême. Cette décision a non seulement consolidé son pouvoir politique, mais a aussi favorisé le développement économique dans les régions voisines comme l'Estonie.
Ces deux exemples historiques montrent comment une politique religieuse adroite peut servir à la fois les intérêts économiques et politiques d'un royaume.
Une série philatélique exceptionnelle : l’Ukraine et l’Estonie en 2003
L'émission philatélique conjointe de l'Ukraine et de l'Estonie sur les routes commerciales anciennes symbolise l'unité historique et culturelle qui lie ces deux nations. Elle commémore l'importance des échanges commerciaux et des routes historiques, qui ont joué un rôle central dans le développement économique et culturel de ces deux pays.
À travers cette collaboration, l'Ukraine et l’Estonie célèbrent leur héritage commun tout en soulignant l'impact de ces connexions sur leur histoire partagée.
R. Simard
Pour votre collection…
La série philatélique sur les anciennes routes commerciales émise par l'Ukraine et l'Estonie en 2003 pourrait être incluse dans les thématiques philatéliques suivantes :
Routes et voies commerciales historiques : cette thématique est spécifiquement dédiée aux séries qui explorent les anciennes routes commerciales, les échanges économiques et les connexions culturelles entre différentes régions du monde.
Histoire européenne : la série s'inscrit dans une thématique plus large sur l'histoire de l'Europe, mettant en avant les échanges commerciaux et les interactions culturelles entre les nations européennes au cours des siècles.
Exploration et découvertes : les routes commerciales, en tant que voies de découverte et d'expansion économique, peuvent être incluses dans une thématique consacrée à l'exploration, aux voyages et aux découvertes historiques.
Relations internationales et coopération : puisque la série a été émise conjointement par l'Ukraine et l'Estonie, elle peut être intégrée dans une thématique sur les émissions conjointes, les partenariats internationaux et les relations diplomatiques.
Culture et héritage des peuples : cette thématique inclut les séries qui illustrent les interactions culturelles et l'héritage des différentes civilisations, en particulier celles liées aux échanges commerciaux et aux routes historiques.
Commerce et économie : la série peut être incluse dans une thématique qui explore l'évolution du commerce, l'importance des routes commerciales, et leur impact sur le développement économique des régions.
Ces thématiques permettent d'encadrer la série dans des contextes historiques et culturels riches, offrant aux collectionneurs divers angles d'approche pour apprécier l'importance de ces routes commerciales dans l'histoire mondiale.
R. Simard
Références
[1] MINAUDIER, Jean-Pierre, Histoire de l’Estonie et de la nation estonienne, 2007, L’Harmattan, p. 51.
[2] BRÊME, Adam de, Histoire des archevêques de Hambourg avec une Description des îles du Nord, traduit du latin, présenté et annoté par Jean-Baptiste Brunet-Jailly, 1998, Gallimard, coll. « L’aube des peuples », p. 207-208.
[3] CHAMPOONOIS, Suzanne et François de Labriolle, L’Estonie. Des Estes aux Estoniens, 1997, Éditions Karthala, p. 21.
[4] RIMBERT, Vita Anskarii, ch. 24 ; Vie de saint Anschaire, traduit lu latin, présenté et annoté par Jean-Baptiste Brunet-Jailly, 2011, Cerf, p. 96, cité dans WINROTH, Anders, Au temps des Vikings, traduit de l’anglais par Philippe Pignarre, 2018, Éditions La Découverte, p. 146.
[5] Lausavísur de la Saga de Harald Sigurðsonar 2, cité dans Winroth, Anders, Au temps des Vikings…, p. 143.
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